Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/316

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vaille, et où il est inférieur à tout écrivain d’aujourd’hui. Les clochers de ses églises, qui sont comme de grands bras, sont inférieurs à tout ce qu’ont trouvé M. Renard, M. Adam, peut-être même M. Leblond.

Aussi cet art est-il le plus superficiel, le plus insincère, le plus matériel (même si son sujet est l’esprit, puisque la seule manière pour qu’il y ait de l’esprit dans un livre, ce n’est pas que l’esprit en soit le sujet mais l’ait fait. Il y a plus d’esprit dans le Curé de Tours de Balzac que dans son caractère du peintre Steinbock), et aussi le plus mondain. Car il n’y a que les personnes qui ne savent pas ce que c’est que la profondeur et qui, voyant à tout moment des banalités, des faux raisonnements, des laideurs, ne les aperçoivent pas mais s’enivrent de l’éloge de la profondeur, qui disent  : «  Voilà de l’art profond  !   », de même que quand quelqu’un dit tout le temps  : «  Ah  ! moi je suis franc, moi je n’envoie pas dire ce que je pense, tous nos beaux messieurs sont des flatteurs, moi je suis un rustre  », et fait illusion aux gens qui ne savent pas, un homme délicat sait que ces déclarations n’ont rien à voir avec la vraie franchise en art. C’est comme en morale  : la prétention ne peut être réputée pour le fait. Au fond, toute ma philosophie revient, comme toute philosophie vraie, à justifier, à reconstruire ce qui est. (En morale, en art, on ne juge plus seulement un tableau sur ses prétentions à la grande peinture et