Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/49

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la douleur réalisés, il cherchait à le retrouver dans la couleur irréelle – seule réelle – que le désir des jeunes snobs met sur la comtesse aux yeux violets, qui part dans sa victoria les dimanches d’été.

Naturellement, la première fois que je vis la comtesse et que j’en tombai amoureux, je ne vis de son visage que quelque chose d’aussi fuyant et d’aussi fugitif que ce que choisit arbitrairement un dessinateur dont nous voyons un «  profil perdu  ». Mais c’était pour moi, cette espèce de ligne serpentine qui unissait un rien du regard avec l’inflexion du nez et une moue d’un coin de la bouche en omettant tout le reste  ; et quand je la rencontrais dans la cour ou dans la rue, en même temps, sous sa toilette différente, dans son visage dont la plus grande partie me restait inconnue, j’avais à la fois l’impression de voir quelqu’un que je ne connaissais pas, et en même temps je recevais un grand coup au cœur, parce que sous le déguisement du chapeau de bleuets et du visage inconnu j’avais aperçu la possibilité du profil serpentin et le coin de bouche qui l’autre jour avait la moue. Quelquefois, je restais des heures à la guetter sans la voir, et tout d’un coup elle était là, j’avais vu la petite ligne onduleuse qui se terminait par des yeux violets. Mais bientôt ce premier visage arbitraire qu’est pour nous une personne, ne présentant jamais que le même profil, ayant toujours le même léger haussement de sour-