Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/74

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tifs, et l’idée de décrire l’aspect d’une chose qui nous fait éprouver une impression est peut-être quelque chose qui aurait pu ne pas exister, comme l’usage de cuire la viande ou de se vêtir, si le cours de la civilisation avait été autre. Il semble en tout cas que la description plus exact des ombres que le balcon faisait sur la pierre ensoleillée peut bien peu rendre compte du plaisir que j’éprouvais alors. Car de toutes les végétations familières et domestiques qui grimpent aux fenêtres, s’attachent aux portes du mur et embellissent la fenêtre, si elle est plus impalpable et fugitive, il n’y en a pas de plus vivante, de plus réelle, correspondant plus pour nous à un changement effectif dans la nature, à une possibilité différente dans la journée, que cette caresse dorée du soleil, que ces délicats feuillages d’ombre sur nos fenêtres, flore instantanée et de toutes les saisons, qui, dans le plus triste jour d’hiver, quand la neige était tombée toute la matinée, venait quand nous étions petits nous annoncer qu’on allait pouvoir aller tout de même aux Champs-Élysées et que peut-être bien on verrait déboucher de l’avenue Marigny, sa toque de promenade sur son visage étincelant de fraîcheur et de gaîté, se laissant déjà glisser sur la glace malgré les menaces de son institutrice, la petite fille que nous pleurions, depuis le matin qu’il faisait mauvais, à la pensée de ne pas voir. Plus tard viennent des années où on a la permission de sortir même s’il fait mauvais, on n’est pas