Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/85

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cadran solaire, je n’avais pas besoin d’en voir davantage pour savoir qu’en ce moment, sur la place, le magasin qui avait baissé sa toile à cause de la chaleur allait fermer pour l’heure de la grand-messe, et que le patron qui était allé passer son veston du dimanche y déballait aux acheteurs les derniers mouchoirs, tout en regardant si ce n’était pas l’heure de fermer, dans une odeur de toile écrue  ; que sur le marché les marchands étaient en train de montrer les œufs et les volailles, alors qu’il n’y avait encore personne devant l’église, sauf la dame en noir qu’on en voit sortir rapidement à toute heure dans les villes de province. Mais maintenant ce n’était pas cela que l’éclat du soleil plaqué sur la girouette de la maison d’en face me donnait envie de revoir. Car depuis je l’avais revu bien souvent, cet éclat du soleil de dix heures du matin, plaqué non plus sur les ardoises de l’église, mais sur l’ange d’or du campanile de Saint-Marc, quand on ouvrait sur la petite calle ma fenêtre du Palazzo… à Venise. Et de mon lit je ne voyais qu’une chose, le soleil, non pas directement, mais en plaques de flammes sur l’ange d’or du campanile de Saint-Marc, me permettant aussitôt de savoir quelle était exactement l’heure et la lumière dans tout Venise et m’apportant sur ses ailes éblouissantes une promesse de beauté et de joie plus grande qu’il n’en apporta jamais aux cœurs chrétiens, quand il vint annoncer «  la gloire de Dieu dans le ciel et la paix