Page:Proust - Du côté de chez Swann.djvu/77

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à un inconnu, même dans une partie du monde éloignée, sans commencer à gémir.

— Françoise, mais pour qui donc a-t-on sonné la cloche des morts ? Ah ! mon Dieu, ce sera pour Mme  Rousseau. Voilà-t-il pas que j’avais oublié qu’elle a passé l’autre nuit. Ah ! il est temps que le Bon Dieu me rappelle, je ne sais plus ce que j’ai fait de ma tête depuis la mort de mon pauvre Octave. Mais je vous fais perdre votre temps, ma fille.

— Mais non, madame Octave, mon temps n’est pas si cher ; celui qui l’a fait ne nous l’a pas vendu. Je vas seulement voir si mon feu ne s’éteint pas.

Ainsi Françoise et ma tante appréciaient-elles ensemble au cours de cette séance matinale, les premiers événements du jour. Mais quelquefois ces événements revêtaient un caractère si mystérieux et si grave que ma tante sentait qu’elle ne pourrait pas attendre le moment où Françoise monterait, et quatre coups de sonnette formidables retentissaient dans la maison.

— Mais, madame Octave, ce n’est pas encore l’heure de la pepsine, disait Françoise. Est-ce que vous vous êtes senti une faiblesse ?

— Mais non, Françoise, disait ma tante, c’est-à-dire, si, vous savez bien que maintenant les moments où je n’ai pas de faiblesse sont bien rares ; un jour je passerai comme Mme  Rousseau sans avoir eu le temps de me reconnaître ; mais ce n’est pas pour cela que je sonne. Croyez-vous pas que je viens de voir comme je vous vois Mme  Goupil avec une fillette que je ne connais point ? Allez donc chercher deux sous de sel chez Camus. C’est bien rare si Théodore ne peut pas vous dire qui c’est.

— Mais ça sera la fille de M. Pupin, disait Françoise qui préférait s’en tenir à une explication