font de même, d’ailleurs, et avaient le même plaisir à dire « limoger » car, chez les duchesses, c’est, pour les roturiers un peu poètes, le nom qui diffère, mais elles s’expriment selon la catégorie d’esprit à laquelle elles appartiennent et où il y a aussi énormément de bourgeois. Les classes d’esprit n’ont pas égard à la naissance.
Tous ces téléphonages de Mme Verdurin n’étaient pas, d’ailleurs, sans inconvénient. Quoique nous ayons oublié de le dire, le « salon » Verdurin, s’il continuait en esprit et en vérité, s’était transporté momentanément dans un des plus grands hôtels de Paris, le manque de charbon et de lumière rendant plus difficiles les réceptions des Verdurin dans l’ancien logis, fort humide, des Ambassadeurs de Venise. Le nouveau salon ne manquait pas, du reste, d’agrément. Comme à Venise la place, comptée à cause de l’eau, commande la forme des palais, comme un bout de jardin dans Paris ravit plus qu’un parc en province, l’étroite salle à manger qu’avait Mme Verdurin à l’hôtel faisait d’une sorte de losange aux murs éclatants de blancheur comme un écran sur lequel se détachaient à chaque mercredi, et presque tous les jours, tous les gens les plus intéressants, les plus variés, les femmes les plus élégantes de Paris, ravis de profiter du luxe des Verdurin qui, grâce à leur fortune, allait croissant à une époque où les plus riches se restreignaient faute de toucher leurs revenus. La forme donnée aux réceptions se trouvait modifiée sans qu’elles cessassent d’enchanter Brichot, qui, au fur et à mesure que les relations des Verdurin allaient s’étendant, y trouvait des plaisirs nouveaux et accumulés dans un petit espace comme des surprises dans un chausson de Noël. Enfin, certains jours, les dîneurs étaient si nombreux que la salle à manger de l’appartement privé était trop petite, on donnait le dîner dans la salle à manger immense d’en bas, où les fidèles, tout en feignant hypocritement de déplorer