Page:Proust - Le Temps retrouvé, tome 2.djvu/135

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de Guermantes en me représentant Swann, ou M. de Charlus ? me demandait Bloch à qui j’avais longtemps emprunté sa manière de parler et qui maintenant imitait souvent la mienne. — Nullement. — Mais en quoi consiste la différence ? — Il aurait fallu les entendre parler entre eux, pour la saisir, mais c’est maintenant impossible, Swann est mort et M. de Charlus ne vaut guère mieux. Mais ces différences étaient énormes. » Et tandis que l’œil de Bloch brillait en pensant à ce que pouvait être la conversation de ces personnages merveilleux, je pensais que je lui exagérais le plaisir que j’avais eu à me trouver avec eux, n’en ayant jamais ressenti que quand j’étais seul, et l’impression des différenciations véritables n’ayant lieu que dans notre imagination. Bloch s’en aperçut-il ? « Tu me peins peut-être cela trop en beau, me dit-il ; ainsi la maîtresse de maison d’ici, la princesse de Guermantes, je sais bien qu’elle n’est plus jeune, mais enfin il n’y a pas tellement longtemps que tu me parlais de son charme incomparable, de sa merveilleuse beauté. Certes, je reconnais qu’elle a grand air, et elle a bien ces yeux extraordinaires dont tu me parlais, mais enfin je ne la trouve pas tellement inouïe que tu disais. Évidemment elle est très racée, mais enfin... » Je fus obligé de dire à Bloch qu’il ne me parlait pas de la même personne. La princesse de Guermantes, en effet, était morte et c’est l’ex-Madame Verdurin que le prince, ruiné par la défaite allemande, avait épousée et que Bloch ne reconnaissait pas. « Tu te trompes, j’ai cherché dans le Gotha de cette année, me confessa naïvement Bloch, et j’ai trouvé le prince de Guermantes, habitant l’hôtel où nous sommes et