Page:Proust - Le Temps retrouvé, tome 2.djvu/136

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marié à tout ce qu’il y a de plus grandiose, attends un peu que je me rappelle, marié à Sidonie, duchesse de Duras, née des Baux. » En effet, Mme  Verdurin, peu après la mort de son mari, avait épousé le vieux duc de Duras, ruiné, qui l’avait faite cousine du prince de Guermantes, et était mort après deux ans de mariage. Il avait été pour Mme  Verdurin une transition fort utile, et maintenant celle-ci, par un troisième mariage, était princesse de Guermantes et avait dans le faubourg Saint-Germain une grande situation qui eût fort étonné à Combray, où les dames de la rue de l’Oiseau, la fille de Mme  Goupil et la belle-fille de Mme  Sazerat, toutes ces dernières années, avant que Mme  Verdurin ne fût princesse de Guermantes, avaient dit en ricanant : « la duchesse de Duras », comme si c’eût été un rôle que Mme  Verdurin eût tenu au théâtre. Même, le principe des castes voulant qu’elle mourût Mme  Verdurin, ce titre, qu’on ne s’imaginait lui conférer aucun pouvoir mondain nouveau, faisait plutôt mauvais effet. « Faire parler d’elle », cette expression qui dans tous les mondes est appliquée à une femme qui a un amant, pouvait l’être dans le faubourg Saint-Germain à celles qui publient des livres, dans la bourgeoisie de Combray à celles qui font des mariages dans un sens ou dans l’autre « disproportionnés ». Quand elle eut épousé le prince de Guermantes, on dut se dire que c’était un faux Guermantes, un escroc. Pour moi, à me figurer cette identité de titre, de nom, qui faisait qu’il y avait encore une princesse de Guermantes et qu’elle n’avait aucun rapport avec celle qui m’avait tant charmé et qui n’était plus, qui était comme une morte sans défense à qui on l’eût volé, il y avait quelque chose d’aussi douloureux qu’à voir les objets