Page:Proust - Le Temps retrouvé, tome 2.djvu/162

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Quoi de plus séparé, par exemple, dans mes passés divers, que mes visites à mon oncle Adolphe, que le neveu de Mme de Villeparisis cousine du Maréchal, que Legrandin et sa sœur, que l’ancien giletier ami de Françoise, dans la cour ! Et aujourd’hui tous ces fils différents s’étaient réunis pour faire la trame ici du ménage Saint-Loup, là jadis du jeune ménage Cambremer, pour ne pas parler de Morel et de tant d’autres dont la conjonction avait concouru à former une circonstance, si bien qu’il me semblait que la circonstance était l’unité complète et le personnage seulement une partie composante. Et ma vie était déjà assez longue pour qu’à plus d’un des êtres qu’elle m’offrait je trouvasse dans des régions opposées de mes souvenirs un autre être pour le compléter. Aux Elstir que je voyais ici en une place qui était un signe de la gloire maintenant acquise, je pouvais ajouter les plus anciens souvenirs des Verdurin, des Cottard, la conversation dans le restaurant de Rivebelle, la matinée où j’avais connu Albertine, et tant d’autres. Ainsi un amateur d’art à qui on montre le volet d’un retable se rappelle dans quelle église, dans quel musée, dans quelle collection particulière, les autres sont dispersés (de même qu’en suivant les catalogues des ventes ou en fréquentant les antiquaires, il finit par trouver l’objet jumeau de celui qu’il possède et qui fait avec lui la paire, il peut reconstituer dans sa tête la prédelle, l’autel tout entier). Comme un seau, montant le long d’un treuil, vient toucher la corde à diverses reprises et sur des côtés opposés, il n’y avait pas de personnage, presque pas même de choses ayant eu place dans ma vie, qui n’y eût joué tour à tour des rôles différents. Une simple relation mondaine,