Page:Proust - Le Temps retrouvé, tome 2.djvu/207

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rences, en ce qui concerne l’intelligence, non seulement entre divers gens du monde chez lesquels elle est à peu près semblable, mais même chez une même personne à différents moments de sa vie. Puis elle ajouta : « Il a toujours été le portrait de ma belle-mère ; c’est encore plus frappant maintenant. » Cette ressemblance n’avait rien d’extraordinaire. On sait, en effet, que certaines femmes se projettent en quelque sorte elles-mêmes en un autre être avec la plus grande exactitude, la seule erreur est dans le sexe. Erreur dont on ne peut pas dire : felix culpa, car le sexe réagit sur la personnalité, et chez un homme le féminisme devient afféterie, la réserve susceptibilité, etc. N’importe, dans la figure, fût-elle barbue, dans les joues, même congestionnées sous les favoris, il y a certaines lignes superposables à quelque portrait maternel. Il n’est guère de vieux Charlus qui ne soit une ruine où l’on ne reconnaisse avec étonnement sous tous les empâtements de la graisse et de la poudre de riz quelques fragments d’une belle femme en sa jeunesse éternelle.

« Je ne peux pas vous dire comme ça me fait plaisir de vous voir, reprit la duchesse. Mon Dieu, quand est-ce que je vous avais vu la dernière fois... — En visite chez Mme  d’Agrigente où je vous trouvais souvent. — Naturellement, j’y allais souvent, mon pauvre petit, comme Basin l’aimait à ce moment-là. C’est toujours chez sa bonne amie du moment qu’on me rencontrait le plus parce qu’il me disait : « Ne manquez pas d’aller lui faire une visite. » Au fond, cela me paraissait un peu inconvenant cette espèce de « visite de digestion » qu’il m’envoyait faire une fois qu’il avait consommé. J’avais fini assez vite par m’y