Page:Proust - Le Temps retrouvé, tome 2.djvu/208

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habituer, mais ce qu’il y avait de plus ennuyeux c’est que j’étais obligée de garder des relations après qu’il avait rompu les siennes. Ça me faisait toujours penser au vers de Victor Hugo : « Emporte le bonheur et laisse-moi l’ennui. » Comme dans la poésie j’entrais tout de même avec un sourire, mais vraiment ce n’était pas juste, il aurait dû me laisser, à l’égard de ses maîtresses, le droit d’être volage, car, en accumulant tous ses laissés pour compte, j’avais fini par ne plus avoir une après-midi à moi. D’ailleurs, ce temps me semble doux relativement au présent. Mon Dieu, qu’il se soit remis à me tromper, ça ne pourrait que me flatter parce que ça me rajeunit. Mais je préférais son ancienne manière. Dame, il y avait trop longtemps qu’il ne m’avait trompée, il ne se rappelait plus la manière de s’y prendre ! Ah ! mais nous ne sommes pas mal ensemble tout de même, nous nous parlons, nous nous aimons même assez », me dit la duchesse, craignant que je n’eusse compris qu’ils étaient tout à fait séparés, et comme on dit de quelqu’un qui est très malade : « Mais il parle encore très bien, je lui ai fait la lecture ce matin pendant une heure », elle ajouta : « Je vais lui dire que vous êtes là, il voudra vous voir. » Et elle alla près du duc qui, assis sur un canapé auprès d’une dame, causait avec elle. Mais en voyant sa femme venir lui parler, il prit un air si furieux qu’elle ne put que se retirer. « Il est occupé, je ne sais pas ce qu’il fait, nous verrons tout à l’heure », me dit Mme  de Guermantes préférant me laisser me débrouiller. Bloch s’étant approché de nous et ayant demandé, de la part de son Américaine, qui était une jeune duchesse qui était là, je répondis que c’était la nièce de M. de Bréauté, nom sur lequel Bloch, à