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MÉLANGES

il préfère les reines, d’un art plus naïf et plus grave, du porche royal de Chartres. Si j’ai cité le passage où Ruskin explique cette préférence, c’est que The two Paths était de 1850 et la Bible d’Amiens de 1885, le rapprochement des textes et des dates montre à quel point la Bible d’Amiens diffère de ces livres comme nous en écrivons tant sur les choses que nous avons étudiées pour pouvoir en parler (à supposer même que nous ayons pris cette peine) au lieu de parler des choses parce que nous les avons dès longtemps étudiées, pour contenter un goût désintéressé, et sans songer qu’elles pourraient faire plus tard la matière d’un livre. J’ai pensé que vous aimeriez mieux la Bible d’Amiens, de sentir qu’en la feuilletant ainsi, c’étaient des choses sur lesquelles Ruskin a, de tout temps, médité celles qui expriment par là le plus profondément sa pensée, que vous preniez connaissance ; que le présent qu’il vous faisait était de ceux qui sont le plus précieux à ceux qui aiment, et qui consistent dans les objets dont on s’est longtemps servi soi-même sans intention de les donner un jour, rien que pour soi. En écrivant son livre, Ruskin n’a pas eu à travailler pour vous, il n’a fait que publier sa mémoire et vous ouvrir son cœur. J’ai pensé que la Vierge Dorée prendrait quelque importance à vos yeux, quand vous verriez que, près de trente ans avant la Bible d’Amiens, elle avait, dans la mémoire de Ruskin, sa place où, quand il avait besoin de donner à ses auditeurs un exemple, il savait la trouver, pleine de grâce et chargée de ces pensées graves à qui il donnait souvent rendez-vous devant elle. Alors elle comptait déjà parmi ces manifestations de la beauté qui ne donnaient pas seulement à ses yeux sensibles une

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