Page:Psichari - L'Appel des armes (1919).djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nangès remua des étoffes, renversa un flacon. Il s’énervait. Enfin il trouva la cravache à lourd pommeau d’or, les gants.

Dès qu’il fut dehors, il sentit ses forces décuplées. Il était ivre de sa jeunesse toujours renaissante. Sur la place Napoléon, déserte, des bourrasques fouettaient l’officier d’air marin. Tout d’un coup il oublia l’écœurement de l’amour et ses misères. Dans la brume, l’Empereur à cheval faisait une silhouette incertaine. Quelle ardente méditation éveillait tout cela : l’arsenal, les maisons lointaines, devant lui la houle immense et grise, au loin le bloc de béton de l’île Pelée, un rêve de pierre…

L’ordonnance amenait le cheval. C’était une belle bête, puissante et musclée, bien balancée, et comme Nangès venait de l’acheter dans une foire de Normandie, étant fatigué de ses chevaux d’armes, il l’inspectait avec un soin soucieux et compétent.

Il se mit légèrement en selle. Au pas, il passa le long du port de commerce, que domine, du haut de ces rocs abrupts, le fort du Roule. Il aimait à y lire les noms inscrits à la poupe des charbonniers et des transports : Spezzia, Melbourne, Bahia, noms lointains, syllabes lé-