Page:Psichari - L'Appel des armes (1919).djvu/42

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gères, nostalgiques, d’un goût chaleureux et exotique.

Sur la route de Valognes, droite et nue, Nangès mit sa bête au trot. Merveilleuse utilisation d’une nuit d’amour ! Il pensait plus à sa jument qu’à cette belle Valérie qui reposait à cette heure même sur sa couche, repue de baisers. Ou s’il pensait à cette fille, c’était dans un arrière-plan, dans un étage inférieur de sa sensibilité : la joie presque inconsciente de n’être plus deux côte à côte, d’avoir les mouvements libres et joyeux, d’être délivré de cet ennui mortel qu’il éprouvait aux bras de ses maîtresses. Il se laissait aller au charme simple de la campagne hivernale, attentif à chaque instant de sa vie comme si cet instant en était le plus beau.

D’une colline, Timothée aperçut la mer entre deux hauteurs de landes rocheuses et moussues. Elle était comme une coupe transparente au col évasé, un beau cratère où dormait une eau grise. Il connaissait bien cet endroit. Il savait que derrière lui, dans le lointain, il y avait le vieil arsenal, les mâts trapus des cuirassés, la confusion des hangars et des docks, des bassins de radoub, des ateliers,