Page:Psichari - L'Appel des armes (1919).djvu/62

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il se faisait en lui, et presque à son insu, une sorte d’organisation. Il rattachait ses sensations à d’autres sensations précédemment reçues ; elles avaient laissé en lui des traces plus profondes qu’il ne le soupçonnait. Par exemple, il se rappelait l’impression que lui avaient faite certains récits de la guerre, qu’il avait lus avec son cœur.

Quand il vit Champigny, ce matin d’octobre, Maurice Vincent ne se sentit pas atteint de chauvinisme (ce qui eût été légitime), devant ces maisons où des Français avaient fait contre l’envahisseur un si surprenant effort. Il ressentait seulement avec intensité la poésie d’un champ de bataille. Une scène popularisée par l’image lui revenait à la mémoire et ne le pouvait quitter. Cela s’appelle : le Lendemain de Champigny. C’est un vulgaire chromo. On y voit une rue glacée, boueuse, jonchée de cadavres. Des soldats reposent sur des civières. Au premier plan, un prêtre se penche sur un blessé que soutiennent deux êtres effroyables, la tête enveloppée de linges. Derrière eux, une petite maison, aux volets brisés, les matelas amoncelés devant les fenêtres, — et une carriole où flotte le pavillon de la Croix-Rouge.