Page:Psichari - L'Appel des armes (1919).djvu/74

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contentement de réussir et aussi de la crainte de trop bien réussir.

C’est ainsi que Nangès s’effrayait de pouvoir un jour arracher Maurice Vincent à son milieu naturel, d’en faire ce que le monde appelle un déclassé (il estimait, lui, au contraire, qu’il le grandissait), mais enfin de faire une petite révolution sociale dont les conséquences dans l’avenir étaient troubles. Il redoutait que la graine qu’il avait semée ne poussât trop vite et trop vite ne devînt une plante vivace. Car si Fabrice del Dongo, âgé de seize ans, avait pu faire ses premières écoles à Waterloo, Timothée ne pouvait décemment espérer qu’un sort analogue dût échoir à Maurice Vincent. Il y a apparemment danger à transporter des rêves trop romantiques, comme celui de Stendhal, dans une démocratie. Le capitaine s’en ouvrit discrètement dans une lettre qu’il adressa à Maurice, en réponse au récit que le garçon n’avait pu se dispenser de fui faire de sa visite à Jouarre.

Pourtant le temps courait, et — ainsi installée en lui — la pensée du jeune Briard revenait souvent à Nangès, par à-coups brusques et selon le hasard des journées, rat-