Page:Psichari - L'Appel des armes (1919).djvu/73

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par le rire le plus stupide qui se puisse concevoir. Mais Nangès devint grave, parce qu’il pensa à son âge et que réellement le spectacle d’un homme jeune qui s’essaie à vivre est assez douloureux, même pour un quadragénaire. Il se reportait à ses propres fièvres, et quand il en mesurait la vanité, il était près de mépriser un peu l’humanité.

C’étaient des souvenirs d’amour qui jusqu’ici l’avaient uni au pays de Maurice. Là, il avait conduit jadis une maîtresse qui se mourait de la poitrine. Là, il avait dépensé des trésors de sensibilité, accumulés pourtant pendant plusieurs années de vie solitaire, dans quelque Soudan. Maintenant l’image de la vie se substituait à l’image de la mort, mais ce n’était pas non plus sans un plaisir très mystérieux qu’il voyait, du vieux sol où, par habitude, il ne pouvait connaître que des sentiments passionnés, surgir cette sorte de jeune Fabrice del Dongo dont il lui semblait devenir un peu le directeur. Quand un homme d’âge et d’autorité prend de l’empire sur un très jeune homme, c’est une impression complexe qu’il éprouve, faite de tendresse filiale, de vanité, de contentement agréable de soi-même, du