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Page:Pujo - Phyllis, 1922.djvu/56

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PHYLLIS

ces dernières années ; l’ami est marié maintenant avec une Française et fixé à Paris dans une villa d’une certaine avenue de Passy.

J’ai insisté pour y aller avec mon mari, mais il a refusé avec un doux entêtement, c’est pourquoi, ce matin, je me trouve seule, pensive, devant ces feuillets.

Oui, au fait, pourquoi Mark a-t-il refusé de m’emmener avec lui chez son ami marié ?

Il ne voulait, m’a-t-il dit, que revoir en passant son vieux camarade et reparler de leur bon temps de jadis…

Ce temps où je n’existais pas dans l’esprit de mon mari excite quelque peu ma curiosité.

Riche et beau garçon, il a dû être recherché, adulé par les femmes. Combien de jeunes filles à marier lui ont fait les yeux doux ?… Combien d’autres…

Mais |e suis folle de chercher à plonger mon regard dans un passé qui ne m’appartient pas et dont je dirai même que l’accès m’est défendu…

La moindre allusion à sa vie passée, à ses voyages, a le don de rembrunir les traits de mon cher époux et d’assombrir son humeur. Sujet défendu ! Chasse gardée !

Et quand il voit que je m’étonne et suis prête à pleurer de contrariété, il me câline comme une enfant, puis me dit en m’embrassant :

— Petite Phyl, je vous jure qu’avant de vous avoir rencontrée je n’avais jamais vraiment su ce que c’était qu’aimer.

« Vous êtes la première, la seule, l’unique…

Quelle femme ne serait satisfaite avec une pareille réponse !

C’est égal, pourquoi n’a-t-il pas voulu que j’aille, moi aussi, chez son ami, pour entendre parler de leurs souvenirs d’Amérique !

Quelques jours après notre mariage, nous étions alors en Suisse, au bord du lac de Genève, je lui demandai à brûle-pourpoint :

— Mark, n’avez-vous jamais aimé d’autre femme avant moi ?

L’espace d’un éclair, il me sembla que sa figure changeait.

— Tous les hommes ont eu des fantaisies, me répondit-il évasivement.

Quelque chose me fit comprendre qu’il esquivait une réponse nette ; aussi j’insistai :

— Je ne parle pas d’une toquade, mais d’un réel attachement.

« N’avez-vous jamais, avant moi, demandé à une femme de l’épouser ?

— Quoi ? fit-il en essayant de rire, sans y réussir,