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Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/16

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fort comme il est, il aurait pu faire un bon valet, comme les autres, mais sa mère le laissait, tout jeune, vagabonder dans les bois, s’en aller en maraude, tuer des oiseaux avec le fusil de son père. L’enfant est devenu un fainéant, mais il avait bon cœur, il n’y a pas à dire, adorant sa mère et partageant son morceau de pain avec le premier mendiant venu, qui n’était jamais aussi pauvre que lui.

Louiset pouvait avoir seize ou dix-sept ans quand il arriva un grand malheur dans ce pays. Le facteur des postes fut assassiné. Un soir d’hiver on le trouva sur la neige, mort, avec une balle dans la tête, le sac des dépêches avait disparu.

Au premier moment, les soupçons des gens de justice se portèrent sur Louiset. Il fallait être étranger à la commune pour accuser cet innocent ; il tuait du gibier, c’est vrai, mais, après ça, il n’aurait pas levé le doigt sur un enfant au berceau et n’avait jamais rien volé à personne. Pas moins que ses allures donnèrent à penser, qu’on l’arrêta et qu’on le mit en prison.

Oh ! ça ne dura pas. On découvrit bientôt le meurtrier, le vrai, et on relâcha Louiset après quinze jours de… de… je ne me souviens pas du mot.

— De prévention.

— Oui, c’est ça de prévention. La prison l’avait déjà beaucoup éprouvé dans le corps et dans l’esprit, mais quand il revint, il ne trouva plus sa mère. De voir emmener son fils comme un meurtrier, la pauvre femme, ça lui avait fait une révolution dans tout son sang et elle était morte. Alors, quand le garçon, en revenant trouva sa mère morte at sa cabane vide, son esprit acheva de se détraquer. On comprit bien alors qu’il ne serait jamais comme un autre.

— Comment vit-il ? Est-il demeuré Seul ?

— Il est trop sauvage pour aller avec qui que ce soit. Comment il vit ? Dans sa cabane ruinée, les bonnes âmes l’assistent, on lui donne à peu près son pain. Pour le reste, il chasse, il pêche, il est très adroit et fin comme un renard. Tout le monde sait bien qu’il fait du braconnage. Très doux avec ceux qui lui témoignent de l’intérêt, il n’en veut qu’aux gendarmes, parce qu’ils l’ont conduit en prison, au garde champêtre, qui le traque — on ne peut pas lui laisser détruire trop de gibier, non plus ; — il y a aussi le garde particulier de M. de Lissac, Volusien, qui n’est pas de ses amis. Eh bien ! Mademoiselle ne le croirait pas, on a jamais pu le prendre en faute ; pourtant, on sait qu’il tend des collets aux lapins et fusille, en tout temps, lièvres et perdrix.

— Je comprends que son genre de vie et son aspect lui aient fait donner ce surnom : le Loup.

— On peut bien dire qu’il court toute la nuit, comme un loup farouche ; mais, pour le reste, il n’est pas méchant, et ce serait péché que de lui faire du mal.

Ainsi, ma petite Marie, dit Mlle Estevenard en s’adressant à son élève, votre frayeur n’est pas raisonnable, il faut la vaincre. Les pauvres, les malheureux, ceux dont l’esprit est faible, tous ceux-là, comme les enfants, sont les amis de Notre-Seigneur ; il faut les aimer, leur faire du bien, et réprimer une aversion injuste.

— C’est vrai, Mademoiselle, je vous promets d’essayer.

Marie était bonne et pieuse, ce qui la rendait capable de vaincre sa nature pour l’amour de Dieu.


VII


Les sonneries joyeuses des cloches s’étaient envolées de bonne heure dans le ciel clair de cette matinée de juin. On