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était au jeudi de la Fête-Dieu et les gracieuses pompes de la première communion venaient de se dérouler à l’église d’Aulos.

Marie et Fanchette rentraient au château après la messe, émues et recueillies.

Leurs toilettes étaient semblables, de la couleur de leurs âmes. Marie, brune et frêle, déjà plus grande que sa compagne, blanche avec des cheveux noirs, sous la couronne de roses et le voile vaporeux, Fanchette, plus petite et plus robuste, ses cheveux blonds faisant comme un transparent d’or au tulle illusion, fraîche et rose ; mais les yeux des deux enfants étaient pareillement éclairés d’un céleste rayon.

Le ciel était de ce bleu pur que les vieux peintres donnaient au manteau de la Vierge, traversé de nuages légers comme des gazes fines. Un vent très doux inclinait les épis des blés, dont la couleur verte déjà s’irisait de lumières dorées. Quelques gouttes de rosée, çà et là, étincelaient encore sur les herbes… Oh ! la beauté de la nature ! l’harmonie de cet hymne d’amour auquel les deux communiantes s’associaient aujourd’hui dans le sanctuaire de leur âme où vivait le créateur même de la nature.

Elles ne parlaient pas. Chacun de leurs soupirs était une prière ; elles comprenaient le ciel, leurs pensées d’amour s’emplissant d’éternité.

Marie monta dans la grande chambre claire qu’elle ne partageait plus avec sa nourrice. Là, seule avec Fanchette, elle lui montra dans un miroir leurs deux figures que rendaient semblables la couronne, le voile, la simple robe :

— Regarde. Diras-tu encore que nous ne sommes pas égales ? Vois, nous voilà pareilles de vêtements et d’âmes, pareilles devant Dieu, devant notre maître, notre amour, notre tout. Tu vois bien que nous sommes sœurs, et que je t’aimerai toujours.

Elle l’embrassa et toutes les deux, enlacées, descendirent pour le déjeuner.

M. de Lissac les attendait, Marie avait eu la joie de le voir près d’elle à la messe. La sévérité habituelle de son visage s’était adoucie : on l’eût dit illuminé du reflet blanc de la robe de sa fille. Madeleine et Fanchette étaient là : Marie avait voulu les avoir auprès d’elle, et Mlle Estevenard, toute émue d’une joie presque maternelle.

Le dîner commença. Tous les visages étaient heureux.

Tout à coup, un vacarme éclata, se rapprochant, une dissonance de cris, de pas et de jurons, troublant la paix d’un si beau jour.

— Monsieur est là, Jacques, laissez-moi passer, il faut que Monsieur le voie.

Par la porte poussée violemment, le vieux garde Volusien, guêtré de cuir, rouge de colère sous les mèches désordonnées de ses cheveux gris, se précipita dans la salle.

D’une poigne encore vigoureuse, il tenait au collet et chassait devant lui un être à l’air fantastique et sauvage, le Loup, dépenaillé, hirsute, les lèvres noires de la poudre des cartouches déchirées avec ses dents, l’air peureux d’une bête traquée, le visage blême, les mains agitées de tremblements convulsifs.

— Enfin, je le tiens, cria le vieux garde, haletant de fureur, hachant ses paroles, le bandit ! Je l’ai pris et je vous l’amène.

— Qu’a-t-il fait encore ce pauvre diable ?

Pour un chasseur comme M. de Lissac, c’était un crime que de s’attaquer au gibier ; néanmoins, conscient de l’état d’es­ prit de ce pauvre être, il s’applaudissait tout bas qu’il eût jusque-là dépisté la surveillance de son garde.