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— Qu’est-ce qu’il a fait !… Je vais faire voir à Monsieur ce qu’il a fait… Maintiens-le un peu par les pattes, dis donc, Jacques, la bête pourrait mordre. Ah ! ce qu’il a fait ! vous allez voir.

Jacques, non sans quelque répugnance, prit les deux mains du délinquant, mais le malheureux ne songeait point à se défendre. Il paraissait plutôt chercher des yeux une issue, un trou pour s’y terrer, et le tremblement de ses membres s’accentuait.

Brutal, le garde arracha de sur ses épaules le havre-sac déchiré, attaché par des ficelles qui se rompaient.

Il en vida par terre le contenu.

— Voilà un lapin pris au traquenard, deux perdrix, massacre et mort, trois mois avant l’ouverture de la chasse ! les jeunes sont à peine nés, croyez-vous ! Et ceci ! — Il tira par les oreilles un beau lièvre encore chaud. Ah ! ce qu’il a fait, tonnerre ! Va-t’en, toi, sale bête !

Ces derniers mots, ponctués d’un coup de pied, s’adressaient au chien du braconnier, un beau chien d’arrêt, qui s’était, à la faveur du désordre, faufilé dans la salle à manger et tentait d’approcher son maître.

— Ne touchez pas à mon chien, hurla celui-ci d’une voix rauque, canaille, ne touchez pas à mon chien !

— On te le tuera ton chien, vaurien, oui, on te le tuera !

Le vieux garde s’exaltait dans une fureur qui ne trouvait guère d’écho autour de lui. Le pauvre innocent qui l’avait provoquée, était pour tous un objet de pitié plutôt que d’aversion. Les visages de Mlle Estevenard et ceux de ses élèves n’exprimaient que de la commisération ; Marthe, la cuisinière, et Madeleine hochaient la tête, scandalisées d’une pareille scène en un tel jour.

À la vue du gibier éparpillé, une lueur de colère passa cependant dans les yeux de M. de Lissac.

— Ce malheureux ne me laissera pas une pièce de gibier d’ici à l’ouverture, il faut lui faire peur une bonne fois pour qu’il se tienne tranquille.

Et clignant de l’œil du côté de Volusien, qui s’apaisait un peu en voyant son maître décidé à un simulacre de répression, il ajouta, la voix sévère :

— Tu entends, Louiset, on va te mener aux gendarmes.

La face du pauvre idiot devint terreuse ; une immense terreur passa dans son regard. Que comprenait-il dans ce mot redouté : les gendarmes ? Sans doute, d’horribles réminiscences, flottant dans l’ombre de son faible cerveau : les menottes, la prison, l’évocation de sa mère morte…

— Oh ! non, oh ! non, cria-t-il, pas les gendarmes, oh ! pas les gendarmes.

— Si, insista M. de Lissac, voulant que, du moins la leçon fût profitable, si, les gendarmes, emmenez-le.

— Et on te tuera ton chien, ajouta le vieux garde.

Ce n’était pas un méchant homme que le vieux Volusien, mais son orgueil professionnel avait subi de rudes atteintes depuis longtemps par le fait de cet homme.

— Allons, allons, en route pour la gendarmerie. La prison le corrigera.

Au mot de « prison », Louiset, tout à coup lâché par le poignet de Jacques qui le repassait à Volusien, chancela, s’affala, comme une pauvre loque, secoué de tressaillements.

Tous, jusqu’au garde, demeurèrent un moment désorientés par cette chute ; un murmure de pitié s’éleva. Marie, dont les pieds touchaient presque à cette tête grimaçante, tressaillit d’horreur, mais la