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Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/21

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rie lui avait conservé ce qu’il aimait autant que la vie, son chien, le compagnon de sa solitude, le seul être qui, depuis la mort de sa mère, l’eût aimé ; aussi tenait-il la promesse faite à Marie parce qu’il la vénérait avec une sorte d’admiration fervente, et que sur un signe d’elle il se fût jeté dans l’eau ou dans le feu.

Du reste, toutes les tentatives de la jeune fille pour le civiliser échouèrent à peu près complétement. Il se laissa munir par elle de vêtements plus décents, mais sa vie ne changea pas. Marie avait voulu qu’on l’employât dans le parc ou dans les champs, à des travaux à sa portée, mais on vit très vite qu’il faudrait renoncer à lui confier des besognes régulières. Bientôt lassé de tout travail, il abandonnait l’outil qu’on lui avait mis entre les mains, et retournait à sa cabane en ruines, reprenait dans les bois son existence de fauve, grimpant aux arbres, courant dans les ronces, où il mettait en lambeaux les vêtements que sa protectrice s’obstinait à renouveler ; parfois acceptant la nourriture qu’on lui donnait au château, parfois demeurant invisible pendant des semaines entières sans qu’on pût deviner comment il vivait.

Mais, chaque matin, Mairie trouvait sous sa fenêtre un bouquet de fleurs fraîches, humble tribut du culte touchant qu’elle lui avait inspiré ; s’il la rencontrait en promenade, ses yeux brillaient, il attendait, l’épiait derrière les branches ; si elle faisait un signe, il accourait ; si elle lui parlait, bien qu’il ne répondit guère, sa langue étant rebelle aux paroles comme son cerveau à la pensée, il était heureux.

Une sorte d’intuition semblait parfois l’avertir des désirs de la jeune fille. Un jour, s’étant égarée avec Mlle Estevenard dans l’une des parties les moins fréquentées du parc, un coin d’ombre, où sourdait une eau fraîche qu’entouraient de vieux chênes verts, séduite par le charme de cet endroit, elle avait dit, dans une fantaisie passagère :

— Comme il fait bon ici ! Je ne sais pourquoi nous n’y venons jamais. J’ai envie de faire abattre les ronces et, sur ce gazon si frais, d’établir quelques sièges rustiques. Qu’en pensez-vous ?

— Ce serait un charmant salon d’été.

Elles passèrent. Mais deux jours plus tard, revenant au même lieu, Marie fut très surprise de voir les ronces, les chardons soigneusement enlevés et, non loin de la source, à l’ombre des vieux arbres, un siège en terre nouvellement transportée, recouvert de gazon et de mousse.

— Qui donc a arrangé cela ? dit-elle, je n’ai donné aucun ordre.

Fanchette aperçut entre les arbres la barbe faunesque et les yeux brillants de Louiset :

— Parions que c’est le Loup qui t’aura fait cette surprise.

— Le Loup ! comment y aurait-il pensé ? Il était peut-être par là, avant-hier, quand j’ai parlé.

— Bien sûr, il devait être par là. Ne sais-tu pas combien il est fin quand il veut, et combien il cherche à te faire plaisir. À preuve, le voilà qui nous « veille », là, dans ce fourré.

— Louiset, appela Marie. Viens un peu par ici.

Il arriva très vite et se tint debout silencieux, à quelque distance des jeunes filles. Plus hardi, le chien vint flairer Marie et l’entourer de caresses bruyantes.

— Louiset, qui est-ce qui a si bien nettoyé ce joli endroit, qui est-ce qui a construit ce siège ?

Le Loup dans un rire joyeux montra ses grandes dents blanches.

— C’est donc toi. Comment as-tu pen-