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Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/25

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de ses lèvres, le père de Marie ne reprenait pas connaissance.

Le médecin jugea le mal très grave.

— Le cerveau est atteint, déclara-t-il, la méningite est déclarée, je n’ose me prononcer sur le résultat.

— Je sentais qu’il y avait un malheur au-dessus de nous sanglotait Marie.

C’était un spectacle terrible que celui de cet homme foudroyé pour la sensible enfant qui pourtant se refusait à quitter la chambre.

Cinq jours et cinq nuits, le malade demeura ainsi, inconscient : de temps en temps, il portait ses mains à sa tête, toute entourée de glace et on croyait distinguer, au milieu de ses plaintes, ce mot, toujours le même : « De l’eau, de l’eau froide, très froide. »

Il ne redevint pas assez lucide pour se confesser et recevoir le Saint Viatique.

Seule, la merveilleuse vertu de l’Extrême-Onction parut calmer un peu ses souffrances, une lueur d’intelligence un instant traversa son regard, sa main chercha la main de sa fille ; on eût dit qu’il voulait parler.

Ce fut une indicible douleur que d’assister à cette lutte d’intelligence contre la paralysie. Sourdement, la voix empâtée, rigide et lointaine, murmura :

— Marie… Raymond… tuteur…

Et la paralysie fut la plus forte, et les ombres s’épaissirent davantage, l’agonie comme un couvercle de plomb scellé sur la pensée, pétrifia le cerveau impuissant et, quelques heures plus tard, Maurice de Lissac était mort.


X


Raymond vint, de Paris, assister aux obsèques de son frère.

Marie connaissait très peu cet oncle depuis longtemps éloigné du pays natal. Sans être absolument rompus, ses rapports avec Maurice n’avaient été ni affectueux, ni fréquents. Il avait fait de très courtes apparitions à Gabach depuis que Marie était née ; elle n’avait aucune raison de l’aimer, elle n’en avait aucune pour le haïr ou pour le craindre ; son père lui avait rarement parlé de lui, — c’était un différent. Pourtant dans l’exaltation de son chagrin, elle alla vers ce seul parent qui lui restât, le frère de son père, le représentant de sa famille et de son nom, et se jeta dans ses bras avec une sorte d’abandon désespéré. Les scènes funèbres qui venaient de se dérouler devant elle l’avaient plongée dans un chaos de chagrin et d’horreur, Marie, à quinze ans, était toujours l’enfant impressionnable et nerveuse, la frêle sensitive blessée au contact des aspérités de la vie, l’être faible en quête d’un soutien.

Raymond de Lissac avait alors trente-neuf ans. Depuis longtemps guéri des folies de sa jeunesse, il réussissait à refaire dans l’agiotage une partie de sa fortune. Son exclusive passion pour l’argent avait détruit en lui tous les scrupules qui, dans le monde où il fréquentait habituellement, portent le nom de préjugés. Il était de ces financiers adroits plus que délicats, qui restent en rapports courtois avec la justice de leur pays, évoluent en marge des lois, et se hâtent à la conquête du « veau d’or » par des raccourcis hasardeux, plus prompts à les conduire au but que n’est la grande route de la vulgaire honnêteté.

À l’époque déjà lointaine où son frère et lui durent procéder au partage du bien paternel, — Raymond avait alors vingt-deux ans — séduit par la perspective d’une fortune en beaux titres, en solides espèces, il avait très volontiers abandonné ses droits sur le manoir patrimonial, mais, au bout de trois ou quatre années, quand