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Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/30

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viendrait, un événement imprévu et merveilleux, pour détourner cette douleur, avait essayé de dire qu’elle n’était pas préparée, qu’il fallut à Marie un trousseau convenable, que, dans peu de jours, elle la conduirait à Paris elle-même.

Raymond avait été très péremptoire.

— Ne vous inquiétez pas de cela, nourrice, ce qui manquera nous l’achèterons, il faut que ma nièce et moi soyons partis dans trois jours.

Et Madeleine préparait les malles, maternellement en mouillant de ses larmes les effets qu’elle emballait, le linge, les modestes vêtements de deuil.

Assise sur sa petite chaise accoutumée, un peu lasse toujours très calme, Marie présidait à ces préparatifs, tandis que Fanchette, debout, l’œil ardent avec une flamme de révolte, ne voulait pas admettre encore que ce fut vrai que Marie dut réellement s’en aller.

— Ce qui me met en colère, Marie, c’est que tu as consenti de ton plein gré à partir.

— Je comprends que mon oncle a raison, Fanchette.

— Tu comprends ! tu ne comprends rien du tout, mais tu seras toujours la même, on te fait marcher au doigt, tu n’as pas de caractère.

— Que voulais-tu que je fisse ? Mon oncle m’aurait emmenée de force, si je ne l’avais pas suivi de bon gré.

— C’est vrai, il est le maître, mais si tu avais tenu bon, peut-être ne t’aurait-il pas forcée. Il fallait dire que tu ne voulais pas partir, faire affirmer par le médecin que le séjour de Paris ne te vaudrait rien, que tu avais besoin de vivre à la campagne.

— Mon oncle m’a dit qu’il voulait me prendre à Paris pour me faire soigner, justement, tôt ou tard il aurait bien fallu le suivre ; il n’a pas été dur avec moi, il m’a dit qu’il se trouvait bien seul et serait heureux de m’avoir auprès de lui.

— Des bêtises ! Il n’a aucun besoin de toi. Il s’en est bien passé jusqu’ici, tandis que nous… Est-ce que ça te fait de la peine de nous quitter ?

— Oh ! comment peux-tu croire ! Tais-toi, Fanchette, ne parle pas comme ça, tu me fais mal. Donne-moi plutôt du courage. Pense aux vacances ; mon oncle m’a dit que nous reviendrions passer quelques jours ici.

Madeleine intervint :

— Marie a raison, ma fille, ne la tourmente pas, la chère petite. Dès l’instant que son oncle veut l’emmener, nous n’y pouvons rien. Marie trouvera, je l’espère, une institutrice aussi bonne, que Mlle Estevenard et qui l’aimera, tout le monde l’aime, le pauvre agneau. Tiens, Marie, regarde où je place tes bas de fil, tu en auras encore besoin pendant quelques jours. Allons, ne nous faisons pas de chagrin, pense seulement à te bien soigner, ne travaille pas trop, surtout. Dis à ta nouvelle institutrice que tu as toujours été délicate, mon Dieu, si je pouvais la voir, lui parler ! Je voudrais que ce fût une mère de famille, si elle avait eu des enfants, elle comprendrait que tu as besoin de soins et serait meilleure pour toi. Dans ce petit nécessaire, j’enferme ton flacon d’éther, tu sais que cela te calme, quand tu ne peux pas dormir pendant la nuit ; une goutte sur un morceau de sucre. Tiens, ce petit paquet, dans un coin de la malle plate, à gauche, ce sont tes corsages de flanelle, aussitôt qu’il fera un peu froid, ne manque pas de les porter. Je ne sais pas si je dois mettre ces deux jupons brodés dans ta malle. Dieu ! cette broderie, je la vois encore, garnissant un peignoir de ta pauvre maman, elle le portait le jour où je vins me présenter ici comme nourrice, mon