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Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/31

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petit chevreau !… Non, décidément, tu ne les porteras pas ces jupons, je les garde, tu les retrouveras aux vacances.

— Pourvu seulement qu’il te ramène l’été prochain ! gronda Fanchette, mal résignée.

Au milieu des préparatifs, des larmes, des protestations, des promesses de lettres fréquentes, les trois jours passèrent, ainsi que passent les jours heureux, ainsi que passent les jours tristes.

Jacques amena devant le perron la « victoria », — qui, depuis longtemps, n’avait pas roulé sur les chemins et qui, maintenant, y roulerait moins encore, — et que Marie certainement ne retrouverait plus à Gabach, car son oncle avait ordonné qu’on les allât vendre à la foire la plus prochaine.

— Il est inutile de garder dans les écuries ces deux bêtes qui mangent sans profit. Le cheval du régisseur suffira pour le moment. Plus tard, nous nous remonterons.

Le vieux garde était là, sombre et désapprobateur — tous regrettaient de voir Marie emmenée par son oncle. Marthe, la cuisinière, à la large carrure et à la taille replète, faisant des bourrelets à l’entour du cordon de tablier bleu ; Madeleine et Fanchette, surtout, silencieuses, craintives de sangloter.

Elles avaient dû déménager aussi la chambre claire, les tasses peintes, les photographies dans leurs cadres, les statuettes avec leurs bouquets de papier rose et de plumes blanches ; les chers puérils souvenirs. De même que les vieux chevaux, la nourrice et sa fille devenaient des bouches inutiles, à Gabach ; elles allaient habiter dans le village, une maison que le mari de Madeleine lui avait laissée en mourant.

Oh ! la douleur de se déprendre des grands arbres, aux choses où se sont reposés nos yeux, aux graviers qu’ont foulés nos pieds. Oh ! la séparation d’avec les êtres chers, les cœurs familiers, amis ; le vertige de s’en aller dans l’ombre, dans le froid de l’ombre, de l’inconnu !

Toutes ces amertumes noyèrent le cœur de Marie, le cœur très tendre qu’elle cachait sous son caractère sans ressort, quand son oncle, d’un geste nerveux et hâté, ouvrit devant elle la portière et s’effaça pour la laisser monter :

— Adieu ! Fanchette, adieu ! Madeleine, adieu tous, au revoir, à l’été prochain !

— Dieu te bénisse, cher amour.

La nourrice pouvait à peine répondre, le cœur gonflé de sanglots.

Lestement, avec un geste de prise de possession, Raymond, étant monté auprès de sa nièce, ferma la portière qui fit un bruit sec, et Fanchette, à travers la buée humectant ses yeux, ne vit plus que le grand voile de crêpe baissé sur le visage de sa sœur.

Dissimulé derrière un gros ormeau, ayant à ses talons son chien grondeur, museau baissé, le Loup, qui n’affrontait pas volontiers la présence de Volusien, le Loup, de loin, montra le poing à Raymond dont le chapeau masquait Marie, affalée sur les coussins de la voiture.



DEUXIÈME PARTIE

I


Le petit village d’Aulos célébrait sa fête nationale.

Diminutif de fête, comme Aulos était un diminutif de village. L’église très pauvre, même sous les parures de ses plus beaux atours. Le temps n’était plus où M.