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Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/33

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pas bonne pour un monsieur comme toi, moi, il te faut quelque chose de plus distingué. Tiens, elle a fini de ranger la sacristie plus tôt qu’à l’ordinaire, cours bien vite, la voilà ta parionne.

Fanchette sortait de l’église, l’une des dernières, modeste et jolie à ravir, avec sa belle couronne de cheveux blonds, ses yeux bleus regardant devant elle, sans effronterie, et son teint éclatant qui se rosa encore quand elle se vit attendue.

Jean Savignac était fiancé à Fanchette depuis peu. Sa famille habitait le canton de Vicdessos ; lui-même, récemment rentré au service, avait été choisi comme garde particulier par un grand propriétaire du voisinage. Il avait rencontré Fanchette à la foire de Tarascon, elle lui avait plu, et, dès lors, il ne regardait plus aucune autre fille. Fanchette avait vingt ans passés ; elle était bonne ouvrière et très sage.

Elle accueillit la recherche de Jean, et ils échangèrent leurs promesses.

Madeleine trouvait que c’était là un bon parti pour sa fille, la famille de Jean ne désapprouvait pas son choix, d’ailleurs, les paysans ont sur les bourgeois cet avantages qu’ils ne se marient ordinairement pas par intérêt. Les gens riches sont liés par des convenances de position et de fortune, embarrassés d’impedimenta de toutes sortes. Chez les pauvres, il en va plus simplement :

« Tu me plais, je te plais, tope. »

Et les parents, bonasses et philosophes, avec un souvenir donné à leur lointain passé :

— Ça les regarde, ces jeunesses ils auront à travailler partout, et, partout, en travaillant, ils mangeront du pain, qu’ils s’épousent, s’ils se conviennent ».

Or, Jean et Fanchette, incontestablement « se convenaient » et trouvaient très souriante la perspective d’être l’un à l’autre. Il y avait bien, parmi les garçons du pays, un peu de jalousie contre cet étranger qui venait enlever ainsi l’une des plus jolies filles d’Aulos, celle que plusieurs, déjà, peut-être, avaient choisie ; mais Fanchette ne s’était jusque-là promise à personne, n’avait encouragé aucune recherche et Jean était de taille à tenir à distance les jaloux.

Très vite, très joyeux, il s’approcha de sa jolie fiancée et tous les deux se mirent à marcher sous l’ombre des arbres, côte à côte, en parlant tout bas :

— Je ne t’avais pas aperçu avant les vêpres, mais j’étais sûre que tu viendrais.

— C’est donc pour ça que tu ne te décidais pas à sortir de l’église, méchante !

— Oh ! si l’on peut dire ! mais je me suis beaucoup pressée, au contraire. Tu sais que je suis marguillière de la chapelle de Notre-Dame, j’avais paré l’autel de ses plus beaux bouquets, il a fallu tout remettre en place, mais il me semblait que j’avais des fourmis dans les jambes, je crains d’avoir tout mis « fourrebure » à la sacristie pour venir plus tôt te retrouver. Je me doutais bien que tu étais là, et que tu « te languissais de moi ».

— Pas tant Fanchette, et Jean retroussa sa moustache d’un air suffisant, pas tant, je n’aurais pas manqué de société si j’avais voulu, pas même de danseuses. Tiens, Jenny, de l’Hospitalet ; justement, la voilà devant nous avec Pierre, le frisé, eh bien, elle tournait autour de moi, elle espérais que j’allais l’inviter.

— Il fallait le faire, riposta vite Fanchette, un peu sèchement, qui t’empêchait ?

— Tu ne vas pas te fâcher, dis donc ! Je me fiche de Jenny, et de la Toinette avec ce chapeau à fleurs et cette robe traînante qui la fait ressembler à un chien habillé, et de Marie-Anne, cette nas-lebado qui