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Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/32

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le curé trouvait au manoir de Gach tout ce qui pouvait rehausser le culte, tout le nécessaire, voire un peu de superflu.[1] vieilles habitudes, le meilleur de nous qui s’émiette et reste pris aux murs, aux

Depuis que Raymond de Lissac était le maître, les aumônières traditions s’étaient perdues, qui faisaient à plusieurs lieues à la ronde, bénir le nom des châtelains de Gabach. Devant les portes closes depuis cinq ans, les mendiants égrenaient en vain les mélopées traînantes de leurs prières, et si parfois, la cuisinière, Marthe, qui cachait un cœur pitoyable dans sa poitrine rebondie, mettait quelque monnaie de sa poche pour secourir une trop lamentable misère, c’était l’exception, et encore l’aumône était-elle accompagnée de larmoyants commentaires sur le contraste que présentait le temps présent avec le temps passé.

M. le curé avait fait de son mieux, les vêpres s’achevaient, et le soleil de cette belle journée d’août, inclinant déjà vers le couchant, par la porte d’entrée laissée grande ouverte, poudrait d’or la moitié de la nef, se jouant au milieu des cheveux noirs ou blonds des enfants et avec les toilettes claires des jeunes filles, lutinant la statue qui, près de la porte, représentait saint Antoine de Padoue, tout blanc et rose dans sa robe brune, et l’air très doux avec l’Enfant-Jésus sur son bras.

Dans le chœur plus sombre, les cierges brillaient comme des points lumineux, au milieu de la vapeur flottante de l’encens.

Quand la sonnette d’argent eut fini de vibrer des tintements de la bénédiction, très vite, les jeunes filles quittèrent leur place, s’agitant, se pressant pour sortir et rejoindre les garçons à la danse.

On était venu des communes voisines de Larcat et d’Aston, d’Appy, de Bestiac, et trois musiciens des Cabannes, l’un raclant du violon, les autres s’époumonant aux embouchures d’un piston et d’une flûte, se tenaient rangés sur la place même de l’église, l’air important, prêts à marquer le pas des danseurs.

En groupe, entourant les musiciens, les jeunes gens en vestes des dimanches, avec la ceinture écarlate ceignant la taille et retenant le pantalon collant à « pieds d’éléphant », regardaient sortir les filles, chacun choisissant sa partenaire et s’appariant par couples, prêts du quadrille.

L’un d’entre eux, un beau garçon brun, avec des cheveux drus coupés ras, une fine moustache, retroussée cavalièrement, l’œil vif, franchement ouvert devant lui, ne se pressait pas de choisir sa danseuse, malgré les œillades engageantes des champêtres jeunes beautés. Un peu dédaigneux, il se promenait sous les platanes de la petite esplanade, regardant de haut, et répondant du tac au tac, aux plaisanteries des rieuses passantes.

— Écarquille tes yeux, va mon beau coq, tu ne la verras pas encore ta poulette, tu as le temps de venir faire un tour avec nous.

— J’attends parce qu’il me plaît : la Toinette et personne n’a rien à y voir.

— Tout de même, il te la garde un peu longtemps, le curé.

— C’est affaire à moi. Je suis au frais. Je sais bien que si je voulais vous seriez toutes folles de venir faire un en-avant-deux avec moi.

— Ces gens de Vicdessos, s’ils se croient ! essaie un peu, pour voir !

— Ce serait bientôt vu ; toi la première, Jenny, qui tournes autour de moi depuis que tu es sortie de vêpres, tu serais trop contente si je t’invitais.

Jenny, furieuse, lui envoya une bourrade dans les côtes.

— Voyez-vous le « bouhano ! » Je ne suis

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