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sait son nez replet sur le voile de tulle blanc.

Et Raymond, debout à côté de la jument pie, attendant Jacques et son ânesse, en retard de deux longueurs, regardait, en mordant sa moustache, l’empressement de sa nièce à recevoir tant de caresses, et l’exubérance des transports, et les baisers, et, les larmes de joie dans tous les yeux.

Il profita du moment où Marie venait de se dégager, entre deux embrassements, pour venir à elle et lui dire quelques mots, en lui montrant d’un geste autoritaire, la dame étrangère, son petit sac à la main, attendant, l’air indifférent, devant le perron.

Avec une docilité d’automate, Marie, non sans glisser vers ses trois amies un timide regard de regret, marcha vers la dame, s’excusa poliment et la pria de la suivre.

Toutes les deux montèrent le perron.

Fanchette s’élança sur leurs pas ; M. de Lissac l’arrêta dès la première marche.

— Un instant, dit-il, et, s’adressant moins à Fanchette qu’à sa mère qui venait de la rejoindre :

— Demain, quand Mlle de Lissac sera reposée de sa fatigue, peut-être pourra-t-elle vous recevoir ; mais pas en ce moment.

Un incarnat monta au joli visage de Fanchette : les yeux étincelants, en des formes à peine contenues par la prudence.

— Mais, Monsieur, ne puis-je aller auprès de Marie ? Elle aura certainement besoin de quelqu’un pour la servir, elle est accoutumée à mes soins et bien loin de la déranger, je pourrai lui être utile. Elle sera contente de me voir, je le sais. Veuillez donc me permettre de monter.

Avec un calme impatientant, M. de Lissac avait écouté la petite tirade de Fanchette ; quand elle eut terminé, comme dédaigneux de lui répondre, il se tourna vers Madeleine :

— Nourrice, vous avez là une fille fort mal élevée ; tâchez de lui enseigner, si toutefois vous le connaissez vous-même, le ton sur lequel on s’adresse à des maîtres et comment on parle d’eux. Mlle de Lissac, — il appuya sur ce mot, — n’a besoin de personne, elle a amené de Paris sa femme de chambre, la voilà.

Il montrait la maigre soubrette au canotier, fort affairée à reconnaître les malles, un peu plus loin, devant la porte de service.

— Du reste, ajouta-t-il la voix coupante, il vaut mieux que tout soit dit le premier jour, je n’avais ni ordonné, ni permis votre présence au pied du perron au moment de notre arrivée ; Mlle de Lissac est dans un état de santé qui ne lui permet aucune émotion, ce sont là, d’ailleurs, des familiarités qui me déplaisent. Tâchez de vous en souvenir, c’est encore moi qui suis le maître, ici.


III


— J’espère, Madame, que vous m’avez compris, dit Raymond.

Il était installé dans son cabinet de travail, cette pièce du rez-de-chaussée dont la fenêtre ouvrait sur la partie la plus ombreuse du parc, Maurice avait aimé cet appartement, isolé dans un angle du château, paisible, un peu triste sous l’ombre des grands arbres qui l’entouraient de très près ; son hypocondrie se plaisait à cette solitude. Raymond l’avait à son tour choisi, et, dans ce moment, y donnait audience à Mme Guilleminot assise en face de lui, sur un fauteuil que remplissait sa puissante personne.

Les yeux de la dame, presque fermés sous la poussée des joues pleines, eurent un clignement.