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une affaire aussi grave. Marie ne pouvait encore démêler quelle était la réelle pensée de son oncle, et fut au moment de lui tout avouer pour disculper ses amis de l’accusation du vol.

Elle pensa à temps que Raymond pour­rait feindre de ne pas croire à ce qu’elle dirait, et qu’il valait mieux garder sa révélation pour un moment où elle serait plus efficace.

— Comment les gendarmes ont-ils été avertis ?

— Que veux-tu que je te dise ? C’est le métier des gendarmes de se promener pendant la nuit et de surveiller ceux qui se trouvent dehors à l’heure où les honnêtes gens sont dans leur lit. Peut-être ce Savignac leur était-il signalé comme un garçon dangereux.

Louise entr’ouvrit la porte et vint dire à M. de Lissac que le juge d’instruction l’attendait en bas.

— Dites que je viens.

— Mon oncle, demanda Marie, haletante, ne pourrais-je parler au juge d’instruction ?

Comment avait-elle trouvé l’audace de prononcer cette phrase. Elle n’en savait rien elle-même. Cette idée s’était imposée à elle tout d’un coup qu’elle avait une révélation à faire en faveur des accusés, une révélation importante, décisive, et elle avait crié sans réfléchir, avec cet instinct que si elle réfléchissait, elle n’oserait plus.

— Tu lui parleras, ma chère, inévitablement même ; malgré tout mon désir, je ne pourrai te dispenser de venir témoigner devant lui ; mais tu es encore trop faible, trop souffrante et, de toute façon, le moment n’est pas venu.

Marie demeura seule et se mit à réfléchir.

Elle regrettait beaucoup de n’avoir pu parler tout de suite au juge d’instruction. Quelles que dussent être pour elle les conséquences des révélations qu’elle avait à faire, elle craignait que le souci de ne pas la compromettre ait fait ses amis garder le silence sur le but de cette tentative d’effraction. Elle voulait crier la vérité.

Néanmoins, la certitude d’être appelée à son tour devant le juge d’instruction la calma un peu, et elle se mit à réfléchir sur tout ce que venait de lui dire son oncle, et sur la meilleure manière dont elle pourrait s’y prendre pour servir ses amis.

Persuadée, d’abord, que son oncle était de bonne foi en les prenant pour des cambrioleurs, peu à peu, elle changea d’opinion à la lumière de sa raison et de ses souvenirs.

Les rafales, mugissant dans la cheminée imprimèrent un mouvement au rideau qui masquait la porte de l’institutrice, et ce frôlement de rideau, brusquement, lui remit en mémoire un frôlement semblable qu’elle avait entendu, tandis que, suspendue aux branches de l’aulne, Fanchette arrêtait avec elle les détails du plan d’évasion. Le vent ne soufflait guère, cette nuit-là, et pourtant, le rideau avait bougé.

Mme Guilleminot devait écouter, pensa Marie.

Et toutes ces facilités qui lui avaient été laissées d’accomplir son projet ?

Et l’absence de Louise, qui devait la tranquilliser, la décider à mener à bout son entreprise ?

Elle se rappelait tout, maintenant, jusqu’à ce rhume opportun qui avait retenu dans son lit Mme Guilleminot, jusqu’à cette lassitude sur laquelle son oncle avait insisté.

— Je vais dormir, avait-il dit ce soir-là, comme un mort.

Toutes ces circonstances trop complaisantes n’étaient que des moyens de forger