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le piège dans lequel étaient tombés ses pauvres amis.

Tout d’un coup, elle pensa à ces deux taquets, cloués sur la porte de la tour, comme pour rendre l’effraction indispensable, pourquoi cette porte destinée comme toutes les portes à s’ouvrir et à se fermer, avait-elle été condamnée ainsi ? Et elle les revit, ces deux taquets, en bois blanc, trop blanc, trop propre pour être là depuis longtemps, on les avait cloués récemment, et, dans son trouble, elle n’avait pas pensé à le remarquer.

Oui, tout avait été combiné, les gendarmes avertis, postés en bonne place, elle n’en voulait pour preuve que leur intervention à la minute précise où Louis soulevait la porte, à l’aide de son palan. S’il n’y avait eu préalable entente, pourquoi ne se seraient-ils pas montrés avant ? Pourquoi pas après, au moment de sa fuite ?…

Mais alors, il fallait qu’elle vit le juge d’instruction, qu’elle le vit au plus tôt. Elle lui dirait tout, elle se confierait à lui quoi qu’il pût en résulter pour elle-même. La pensée que sa sœur Fanchette, que Louis et Jean qui s’étaient sacrifiés pour son service, souffraient en prison ; que ces honnêtes, que ces dévoués allaient connaître la flétrissure des assises et peut-être la condamnation à des peines graves, cette pensée la martyrisait et lui donnait tous les courages.

Ce juge d’instruction, il était là, à deux pas d’elle ; par quelle permission de la Providence, au lieu de mander M. de Lissac à son cabinet, était-il venu le trouver chez lui, c’était donc que Dieu le voulait si cette occasion que dans sa bonté, il lui avait ménagée, allait-elle donc la laisser passer ainsi !

Elle se leva, toute chancelante, essaya quelques pas dans sa chambre, mais oui, elle pouvait marcher, elle marcherait. Il fallait descendre, entrer par surprise dans le cabinet de son oncle, et, de haute lutte, se faire écouter. Elle parlerait. Dieu voudrait bien la soutenir.

— Où donc allez-vous Marie ? demanda de sa chambre Mme Guilleminot, l’entendant ouvrir sa porte.

— Je vais chez mon oncle, j’ai besoin de lui parler un instant.

— Mais non, vous n’êtes pas assez forte pour descendre encore, vous le savez bien ; j’empêcherai cette folie, voyons, rentrez chez vous.

L’institutrice était devant elle, lui barrant le passage, mais Marie se sentait forte, elle écarta Mme Guilleminot.

— Laissez-moi passer, madame, je vous prie.

Et elle passa, longea le corridor, traversa le hall du premier étage.

Des piaffements de chevaux l’attirèrent à la fenêtre, elle vit, dans la cour son oncle ouvrir la portière d’une voiture devant un monsieur qui monta et s’assit en saluant. La voiture s’ébranla, le juge d’instruction était parti.

Consternée, Marie se sentit subitement très lasse et regagna sa chambre en chancelant. Mme Guilleminot l’y suivit.

— Que vous disais-je, vous n’êtes pas encore capable d’aller aussi loin, mais vous ne voulez jamais m’en croire.

Marie passa une nuit misérable. L’idée de la condamnation au bagne la hantait, lancinante et terrible.

— Que voulais-tu dire au juge d’instruction, Marie ? demanda Raymond, le lendemain, en s’asseyant, comme de coutume près du feu, dans la chambre de sa nièce.

Marie était comme tous les faibles, Ses résolutions courageuses dues à une excitation momentanée sombraient très vite