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Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/67

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dans l’ordinaire passivité. Son vertueux mouvement de la veille avait pour long­temps épuisé ses forces, elle voyait mille obstacles maintenant à la révélation qu’elle avait projetée, de plus, cette révélation lui paraissait inefficace, insuffisante, elle n’empêcherait peut-être pas la comparution en cour d’assises, — les données juridiques de Marie étaient tout à fait nulles, — et la pensée qu’elle devait être appelée en témoignage l’emplissait d’une épouvante très naturelle, et pourtant, il le faudrait pour le salut de ses amis, mais où trouverait-elle la force d’accuser son oncle et d’expliquer tous les motifs de sa fuite ?

Elle était très abattue.

Que voulait-elle dire au juge d’instruction ?

— Je ne sais plus, mon oncle, j’avais comme ça des idées sans doute absurdes, n’y songez plus.

Elle posa sa tête avec fatigue sur le dossier de son fauteuil.

Raymond se leva et vint prendre un siège bas, tout près d’elle.

— Mon enfant, demanda-t-il, la voix tendre, quand te décideras-tu à me parler avec confiance, comme à ton meilleur ami ?

Marie demeura silencieuse.

— Oui, pourquoi dissimuler avec moi, pourquoi écouter les mauvais conseils qui te poussent dans une voie dangereuse et, ne pas agir ainsi que te le dicte ta raison, sinon ton cœur ?

— Je ne sais à quoi vous faites allusion, dit Marie froidement, je ne vous comprends pas, mon oncle.

— Vraiment ! faut-il que je m’explique tout à fait ?

— Comme vous voudrez.

— Pourquoi as-tu voulu me quitter ?

Marie tressaillit.

— Pourquoi voulez-vous me retenir ?

— Je ne veux rien contre ton désir, mais ton désir, comment pourrais-je le savoir ? Je t’ai toujours connue indifférente et froide, tu ne m’as jamais exprimé une fantaisie, ni donné l’occasion de la satisfaire.

— Ignorez-vous que j’aurais désiré avoir auprès de moi…

Marie allait nommer sa nourrice et sa sœur de lait, mais elle se reprit et acheva seulement :

— Des personnes de mon choix ?

— Je n’en ai pas proscrit beaucoup, et celles que j’ai proscrites, c’est dans ton propre intérêt que je l’ai fait ? Tu aurais acquis dans leur compagnie des manières grossières, elles t’auraient donné des conseils dangereux.

— Ces personnes m’aimaient, dit Marie avec amertume.

— Et moi, Marie, penses-tu que je ne t’aime pas ? Tu ne réponds pas, continua Raymond après un silence, je sais que tu m’as toujours méconnu et toi, à qui je crois le cœur bon, tu ne t’es jamais aperçue que j’en souffrais.

Les paroles venaient malaisément à Raymond. Quand ce n’est pas le cœur qui parle, la langue est pauvre. Et puis, Marie ne l’aidait pas. Elle sentait venir le danger et concentrait ses forces pour la résistance.

— Oui, j’en ai souffert, continua Raymond, et dans ses efforts pour se rendre persuasif, le tic nerveux qui faisait trembler ses jambes s’accentuait, le secouant tout entier, j’en ai souffert et je me suis tu. T’ai-je pressée ? t’ai-je contrainte ? J’ai attendu patiemment ta décision, maintenant je suis à bout ; ta décision il me la faut, — sa main se posa sur le bras de Marie, telle une griffe, — tu connais mes vœux et mes motifs, il faut répondre.

Haletante, Marie se taisait.