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Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/7

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grand matin et, souvent ne rentrait qu’à la nuit, ayant mangé au dehors, dans quelque auberge des villages environnants.

Il lui semblait que la marche, rompant ses forces jusqu’à l’extrême fatigue, que les émotions entraînantes de ce sport primitif, la poursuite du gibier, avaient par fois raison de sa douleur. Ces soirs-là, il rentrait avec une lueur de contentement sur le visage quand, dans la grande cuisine voûtée, il jetait sur la table toute une pannerée de gibier où se confondaient la plume rousse des cailles, la plume grise des perdrix ou le poil fauve des lièvres.

Et puis, il pouvait tout oublier dans un sommeil invincible, ce sommeil bestial du corps fatigué, qui a raison même des plus douloureuses préoccupations de l’esprit.


IV


La bonne nourrice, Madeleine, n’avait pas quitté la maison.

Maurice avait voulu conserver à sa fille les soins dévoués qui l’avaient suivie depuis sa naissance, et la camaraderie de sa sœur de lait.

Les deux enfants grandirent donc ensemble, et, très vite s’affirmèrent les diversités de leurs caractères. Fanchette était gaie, exubérante, audacieuse dans ses jeux, et promettait d’avoir une intelligence vive et prompte. Marie, comme si la mort prématurée de sa mère eût mis sur elle une ombre, se montrait mélancolique, timide et d’esprit paresseux, craintive des gens et des bêtes.

Chez toutes les deux, on pouvait discerner un bon cœur, mais, en Marie, très douce, cette bonté ne se démentait jamais ; plus impétueuse, Fanchette se laissait parfois emporter par l’ardeur du jeu ; la réflexion seule ramenait la pitié pour les souffrants.

Fanchette avait sept ans, Marie six et demi.

Toujours l’une suivant l’autre — c’était habituellement Marie qui suivait, — elles erraient autour du château un peu à toutes les heures, dans le parc, sans embûches.

Fanchette aimait à courir après les papillons et à les piquer d’une épingle pour les voir agiter leurs ailes éperdument. Mais si Marie en avait le temps, elle rendait la liberté aux papillons.

Fanchette, aux jours d’orage, n’avait pas de plus grand plaisir que de s’exposer, cheveux au vent, sous les averses de pluie cinglante, riant aux éclats. Marie, impressionnable et épeurée la rappelait avec angoisse.

— Si tu savais, Marie, dit Fanchette, le joli nid de « cardines » qu’il y a dans ce marronnier !

Les deux enfants, par cette brillante matinée de juin, jouaient dans les vieux fossés du château.

— Comment sais-tu qu’il y a un nid ?

— Je l’ai vu.

— Tu as vu les petits ?

— Oui, il y en a quatre. Ils commencent à mettre la plume.

— Montre-les-moi.

— C’est qu’il est là-haut, dans cette branche.

— Alors, tu es donc montée ?

— Pardi !

— Tu sais pourtant que maman Madeleine nous défend de monter aux arbres.

Un peu confuse, Fanchette fit des épaules le geste qui constate la brutalité inéluctable du fait accompli.

— Alors, tu ne veux pas monter, toi, pour voir le nid ?

— Non, c’est défendu, et puis, je pourrais tomber.

— Peureuse ! Tiens, j’aurai bientôt fait,