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Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/8

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personne ne me verra, je vais aller le chercher.

— Oh ! non Fanchette, ne fais pas ça, c’est mal de désobéir ; et puis les pauvres parents oiseaux seraient si malheureux quand ils reviendront, de ne pas trouver leurs petits.

— Oui, mais nous les aurons, nous, les petites cardines ! Nous les mettrons dans une cage, et nous leur tiendrons toujours de l’eau propre dans la petite auge de verre, et puis, quand ils sauront manger tout seuls, ils chanteront toute la journée, dans leur cage suspendue au contrevent de notre chambre. Et puis, tu ne sais pas, nous achèterons un petit nid, on en vend, des nids tout faits, pour le mettre dans la sage, et l’année prochaine, la femelle pondra, tu verras les jolis œufs, et elle couvera, et nous aurons toute une nichée de petits.

Les yeux de Fanchette brillaient de convoitise et Marie elle-même était un peu tentée. Déjà Fanchette s’accrochait au tronc du marronnier, des mains, des genoux, leste comme un chat.

— Non, Fanchette, cria Marie, non n’y va pas, les pauvres petits ! et puis c’est défendu, redescends Fanchette, mon Dieu que j’ai peur, tu vas tomber !

— Sois tranquille.

Mais en Marie, tous les sentiments se réunissaient pour condamner l’aventure. L’image des pauvres chardonnerets, venant à leurs petits et trouvant le nid vide s’imposa surtout à sa sensibilité avec tant de force, qu’elle s’assit au pied de l’arbre et se mit à pleurer.

— Qu’as-tu, Marie ?

— Les pauvres petits, les pauvres petits. Tu es méchante, Fanchette !

Aussi vite qu’elle était montée, l’enfant dégringola et vint s’abattre sur l’herbe auprès de sa sœur :

Tu es bête de pleurer pour si peu, mais tu as raison tout de même, c’est vrai que le papa et la maman cardines auraient eu trop de chagrin. Et puis, je ne veux pas que tu pleures, je ne le veux pas !

Et elle l’embrassait la serrant à l’étouffer.

Ainsi elles grandissaient ensemble. Fanchette, en toute occasion, à l’avant-garde, Marie la suivant comme son ombre. La première, hardie, combative, cherchant l’obstacle, attirée par le danger ; la seconde, plus douce, timorée, un peu passive, préférant la souffrance à la lutte, se privant d’un bien, plutôt que de le conquérir. Fanchette grimpait aux arbres fruitiers ; Marie la suppliait de ne point s’aventurer et l’attendait au pied de l’arbre, angoissée de crainte ; Fanchette aurait voulu entraîner sa petite compagne en des expéditions aventureuses dans les parties lointaines du parc, Marie revenait tôt vers la maison sûre que sa sœur renoncerait à la promenade pour ne pas la laisser rentrer seule. Si quelques autres petites filles du voisinage venaient jouer avec elles, Fanchette prétendait les régenter et, en cas de révolte, tout de suite, leur administrait de copieuses bourrades ; Marie la rappelait à la sagesse et, tout doucement, apaisait les conflits.

Elles s’aimaient tendrement. Fanchette renonçait à ses plus séduisantes escapades pour ne pas faire pleurer Marie et, Marie, si Fanchette eût persisté, Marie, épeurée et tremblante, l’aurait suivie jusqu’au milieu du danger pour ne pas l’abandonner.


V


Marie avait dix ans.

C’était par un bel après-midi d’octobre : les deux petites filles, dans un champ s’amusaient à voir faire la récolte du maïs.