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Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/74

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rossignol continuait son chant, si triste pour les cœurs souffrants, et les fleurs des treilles mettaient comme une langueur dans l’air nocturne.

Et puis Jean embrassa sa fiancée, et partit pour être de retour à son travail avant l’aube.


VI


On était au 25 juin. C’était le jour anniversaire de la naissance de Marie, le jour qui avait été choisi pour célébrer ses noces.

Marie était mariée.

La veille, en présence de quelques parents éloignés, au premier rang desquels se plaçait le vieil oncle de Marie, son subrogé-tuteur, M. de Vèbre, un notaire de Foix était venu assister aux règlements des comptes de tutelle. Tous les membres du conseil de famille s’étaient réunis pour louer sans réserves l’habile, l’intègre gestion de tuteur.

Reprenant d’une main ce qu’il venait de donner de l’autre, M. de Lissac avait fait dresser un contrat de mariage qui replaçait sous sa domination entière la fortune de sa nièce et future épouse, cette charmante et douce enfant, que tous savaient de caractère faible, et un peu infirme d’esprit, si peu apte à diriger ses propres affaires et à gouverner sa vie, que la solution intervenue était, de l’avis général, tout ce que l’on pouvait souhaiter, au mieux de ses intérêts et de son bonheur.

Et, comme pour confirmer cette opinion, Marie avait assisté à tout, avec une physionomie atone, l’air distrait, écoutant pour la forme, approuvant d’un signe de tête machinal, toujours pareil, signant, sans paraître le regarder ni le comprendre, tout ce qu’on lui avait fait signer.

Le soir, dans la grande salle du château, toutes portes bayantes, devant le maire d’Aulos, ceinturé de son écharpe, elle avait, sans hésitation ni émotion apparente, prononcé ce oui qui la donnait à son oncle pour femme devant la loi.

Enfin, ce matin même, une exquise matinée où, tandis que l’été déjà régnait de par le calendrier, il n’y avait que du printemps dans la nature, une de ces matinées, où c’est une anomalie que de n’être pas heureux, elle venait de s’engager irrévocablement, à l’église, de jurer obéissance et fidélité à cet homme terrible.

Et tandis qu’elle revenait, ainsi tout près de lui, le bras passé dans le sien, elle ne pouvait démêler encore ce qui, de l’horreur ou de la crainte dominait le plus en elle.

Madeleine avait pleuré en fixant sur ses cheveux le voile et la couronne de fleurs d’oranger, et elle avait marché vers l’église, tel Isaac portant le bois du sacrifice, mais se demandait où était la victime.

Elle savait bien que cette victime c’était elle.

Et ce n’était pas trop de toute sa soumission à la volonté de Dieu, de tout son courage de chrétienne, pour lui faire accepter la vie qui, désormais, allait être sa vie.

Elle avait présidé le lunch que Raymond offrait à ses invités. Des familles autrefois amies ou alliées des Lissac, mais, pour la plupart, de la génération d’aujourd’hui pour qui les parents de Raymond étaient de lointains ancêtres, et Maurice et sa jeune femmes, des oubliés.

Marie n’avait point d’amis. Tous la regardaient avec curiosité, avec un intérêt apitoyé ; on savait qu’elle était demeurée dans un pénible et débile état d’esprit depuis le jour de la mort de son père. Pourtant, elle aurait pu sans doute trouver un