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Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/77

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Les gendarmes étaient venus des Cabannes, le procureur de la République, arrivé de Foix, avait questionné Marie, à peine remise. Marie n’avait rien vu que son mari frappé et soudain s’affaissant dans l’herbe. Personne ne savait rien, ne pouvait rien dire.

On s’était alors souvenu de l’attentat précédent, de l’effraction nocturne, et la justice, toujours soupçonneuse, avide de « trouver le coupable », avait lancé un mandat d’arrêt contre Jean Savignac et Louis Echeyenne. Pour la seconde fois le fiancé de Fanchette et le fils de Marthe étaient inculpés de crime capital.

Mais, tandis qu’ils marchaient vers la prison sous l’escorte des gendarmes, soudain, des fourrés avoisinant la route, toujours plus hirsute, toujours plus sauvage, avait émergé le Loup.

Et il avait crié de sa voix discordante, comme rouillé par le manque d’usage.

— Ce n’est pas eux, c’est moi, relâchez-les. Vous pouvez m’arrêter. C’est moi qui ai fait le coup. J’ai vu le méchant homme faire pleurer la demoiselle, je l’ai tué. Je suis content.

Il avait jeté son fusil, et, suivi de son chien noir, s’était remis aux mains des gendarmes.

L’accusation qui pesait sur Jean et sur Louis avait été ainsi réduite à néant ; et quant au pauvre Loup, il fut soumis à une enquête médicale et bientôt relâché comme irresponsable.

Guillaume, le vieux sonneur, avait fait chanter aux cloches leurs plus joyeux carillons pour les noces de Fanchette et de Jean.

Marie n’eut pas osé faire célébrer ces noces au château, enveloppé d’un deuil — d’ailleurs purement formel, — mais elle avait fait orner la petite maison de Madeleine, et les refrains joyeux, les rires, la gaieté franche et vraie se déployaient au­tour de la table, dans le jardin, sous les verdures que doraient les premiers jours d’automne.

Les nouveaux époux et Madeleine disaient adieu à la petite maison. Ils allaient venir habiter le château ; déjà en fonction de garde-particulier, Jean mettrait toute son activité jeune, tout son dévouement, au service de Marie, qui, peu à peu, se familiarisait avec son rôle de suzeraine de Gabach.

Et, la fête de noce étant terminée, elle retournait au château, dans la franche soirée de septembre, toute joyeuse, toute émue du bonheur de Fanchette, très paisible, son bras passé sous le bras de Mlle Estevenard, son amie, son institutrice chère qu’elle avait bien vite appelée pour remplacer auprès d’elle la volumineuse Mme Guilleminot à qui Raymond de Lissac avait fait banqueroute, au moment de l’échéance.

— Chère Fanchette, disait Marie, cher cœur dévoué ! Comprenez-vous avec quelle ardeur j’ai remercié Dieu pour son bonheur, ce matin, pendant la messe !

— Le bonheur est meilleur après un peu de souffrance, n’est-ce pas, mon enfant. C’est là comme une preuve, un indice que Dieu ne nous doit pas le bonheur, mais que c’est affaire à nous de le mériter.

— C’est vrai, dit Marie.

— Et c’est pourquoi Dieu vous le donnera sans doute un jour, à vous qui avez tant souffert. Il faudra imiter Fanchette. Vous trouverez dans les familles des environs, où tous déjà vous apprécient et vous aiment, le bras qui soutiendra le vôtre, le cœur qui vous donnera la revanche des chagrins passés.

Marie aspira longuement l’air de la nuit :

— Chère bonne amie, oui, peut-être un