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Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/76

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der un soutien au bras de son mari, mais au contraire, essaya de le fuir, fit quelques pas en chancelant et se laissa tomber défaillante, sur un tertre qui se trouvait à sa portée.

Comme dans un rêve, elle reconnut l’endroit. C’était cette sorte de salon champêtre que Louiset, le Loup, avait grossièrement préparé jadis pour ses repos des heures chaudes.

Oh ! le pauvre vieux passé ! l’affection dévouée de la bonne Mlle Estevenard, la tendresse de Fanchette, jusqu’à la dévotion touchante du pauvre dément ! Elle sentit des larmes monter à ses yeux.

Cependant Raymond l’avait suivie, inquiet de sa fuite et de sa syncope, attentionné, obséquieux, tout près d’elle.

— Qu’as-tu, ma femme chérie ?

Tout l’être de Marie se souleva. Elle eut un grand désir soudain, de l’éloigner, d’être seule un moment, pour se reprendre, pour rappeler son courage.

— Il me semble, dit-elle, qu’un peu d’eau fraîche me remettrait. Là, là.

Elle désignait la source qui filtrait et sautait dans les pierres, à quelques pas.

Raymond y courut ; demeurée seule un moment, elle sanglota.

— Oh ! Fanchette, dit-elle, comme on invoque, ma bonne Mademoiselle, mon pauvre Loup !

Et ses larmes coulaient, ruisselaient, des larmes qu’elle pensait ne devoir s’arrêter jamais, et à travers ses larmes, elle voyait Raymond, penché vers la source, recueillant de l’eau dans ses mains, prêt à revenir auprès d’elle…

Soudain, un bruit éclata tout près, la détonation violente d’un fusil, et la forme agenouillée de Raymond lui sembla vaciller, puis s’effondrer dans l’herbe. Elle crut voir un chien noir dans le fourré, des yeux luire entre les branches, et puis tout se brouilla, se confondit, elle perdit connaissance.


VII


Fanchette était jolie à ravir dans sa parure de mariée.

Avec sa robe blanche, où festonnait la belle dentelle brodée par sa sœur, le voile de tulle et la guirlande de fleurs d’orangers, presque perdue dans ses opulents cheveux blonds.

C’était la Fanchette d’autrefois, toute lumineuse de la clarté de ses yeux bleus, toute vibrante du joli bruit de son rire, tel un grelot d’argent.

Une pâleur, cependant, voilait son front, aujourd’hui, parfois le rayon de son regard tremblait de larmes, c’était l’émotion du bonheur désiré d’être la femme de Jean, du bonheur si patiemment attendu par Jean et par elle-même.

Marie, ayant pour un jour changé en une toilette lilas, les crêpes de son deuil de veuve, Marie avec une teinte rose sur son visage de camélia blanc, Marie, sereine et douce comme une aube de mai, avait accepté le rôle de témoin.

Le passé s’en allait, comme s’en va un orage qui a menacé les biens et les vies, mais que décroît à l’horizon et laisse derrière lui un ciel pur où commence à rire le soleil.

Il y avait eu un grand Hourvari au château, quand on avait trouvé dans la salle champêtre, au fond du parc, Marie évanouie sur le banc rustique, et Raymond, pelotonné au bord du ruisselet, mort, la tête fracassée par une balle.

Des « Oh ! » des « Ah ! », des exclamations bruyantes, des commentaires entre-croisés : peu de larmes, somme toutes et comme un air de délivrance levé soudain au milieu de l’horreur ambiante.