Page:Puyjalon - Les hommes du jour Joseph Marmette, 1893.djvu/9

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quelque sorte, la consécration et le couronnement d’un talent reconnu et universellement apprécié.

Marmette s’est exercé dans tous les genres et ses Récits et souvenirs sont venus nous montrer à quel degré de délicatesse et d’élégance pouvaient parvenir et sa plume et sa pensée. Mais sur cette route choisie quelques écrivains canadiens l’ont précédé ou l’accompagnent et, s’il reste inimitable, ce sera comme barde et comme historien des héros qui illustrèrent sa patrie au XVIIe et au XVIIIe siècles.

Ce qui charme surtout, dans les chroniqueurs des siècles éloignés de nous, c’est la saveur étrange de leurs récits, c’est le moule dans lequel ils les ont coulés, l’enveloppe dont ils les ont revêtus.

Leurs tableaux ignorent l’ombre, tout y est en pleine lumière et d’une éclatante réalité.

On dirait qu’après avoir arraché un morceau de l’arène où avaient su vaincre ou mourir leurs héros, ils l’ont fixé tout pantelant sur leur toile, sans y amollir une saillie, sans y polir une aspérité, sans y étancher une goutte de sang.

Lisez ces pages du Dernier boulet et dîtes-moi si Marmette n’en a point usé ainsi que ses devanciers.

« Pierre s’approcha du canon avec son père et parla au soldat, qui tendit la mèche au vieil invalide :

« — Volontiers, l’ancien, dit-il, si ça peut vous être agréable.

« Au commandement : « Haut la mèche ! » le vieux se redressa comme autrefois.

« — Feu ! cria l’officier.

« Le canon tonne et se cabre. Mais en même temps, un boulet venu de la ville frappe la pièce et, ricochant, coupe le vieillard en deux et fracasse la poitrine du fils. Le vieux tombe comme une masse inerte, tandis que Pierre, frappé de flanc, tourne sur lui-même et, pantelant, s’abat à côté de sa femme qu’il inonde d’un flot de sang.

« D’abord paralysée par l’épouvante, celle-ci resta sans mouvement et sans voix. Et puis, avec un cri qui n’avait rien d’humain, elle se jeta sur le corps de son mari. Le cœur emporté, il était étendu sur le dos, les yeux démesurément ouverts. Tout auprès, l’enfant, échappé des bras de sa mère et roulé dans le sang de l’aïeul et du père, poussait de pitoyables vagissements.

« Comme on se précipitait vers ce lamentable groupe, — la guerre est sans merci — trois coups de clairon retentirent.