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RÉCITS DU LABRADOR

pête des jours précédents avait ensevelis sous la neige.

Un mois après, un chasseur, qui tendait au printemps quelques lieues au-dessus de moi, passa par ma tente et me remit une lettre de ma femme, que j’avais laissée à L. P… Je sus alors pourquoi j’avais eu la visite de mon curé.

J’appartiens à la catégorie des gens que persécute le guignon, et, sans doute à cause de cela, la voix publique me tue tous les ans, à des dates à peu près fixes. Lorsqu’elle me fait grâce du trépas et me laisse le bénéfice du doute, elle n’en répand pas moins le bruit que je suis, tout au moins, en danger de mort. En général, on me tue pendant l’été, époque de la navigation où je suis toujours emporté, paraît-il, par le premier coup de vent qui passe. Cette année-là, après m’avoir noyé par le travers de la Pointe-aux-Anglais, un peu au-dessous de Natashquan, — la Renommée, mécontente, sans doute, de son insuccès des jours chauds, publiait en hiver que, blessé au pied et sans provisions, j’allais mourir en plein bois et sans revoir la mer. Mon curé l’avait appris et, seul, — tout le monde ayant refusé de l’accompagner à cause de la tempête, — sans autre outil que sa hache de chasse, sans comestibles de route, il s’était mis en chemin par ces jours de