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NOTES DE VOYAGE

C’était bien un jongleur, comme on n’en retrouvera plua. S’il esl encore de cc monde, il a bien quatre-vingts ans. Incapable de tout travail dans sacaducilé, il est devenu un « pauvre de la paroisse », et il est nourri de ferme en ferme. Il a vu, dans le Goëlo el dans le Tréguier, les beaux jours des Mystères bretons. C’est un parfait illettré ; il a pris part à une dizaine de Drames, cl il en a retenu des milliers de vers. Pendant qu’il était penché sur son métier, poussant la navette, le sacristain ou le maître d’école venait el lisait devant lui son rôle, qu’il avait retenu à la suite de cette simple lecture. Sa mémoire était prodigieuse. II passait l’après-midi du dimanche à déclamer, devant ses amis d’auberge, des actes entiers de n’importe quel drame oîi U avait figuré. On raconte qu’il eut maille à partir avec les autorités ecclésiastiques de son endroit, pour avoir donné seul une représenlalion, à la porte du cimetière, Le jour d’une grande fête carillonnée. A l’issue de la grand’mcssc, il monta sur la borne où le garde-champêtre fait ses publications, et il invita la foule à écouter l’aventure des Pevar mah Emon, Jusqu’à la nuit avancée, il tint la place indistinctement de tous les personnages, devant une assistance ravie d’un tel événement. Les gendarmes de Lézardricux durent mettre lin à ce spectacle en plein vent. Le pauvre Kérambrun était inoffensif. Il avait gardé jusqu’à rcxlrèmc vieillesse la verve et l’cnlrain des jeunes années. Insoucieux comme un chanteur, il aura mené pourtant une vie de tourmente. Avec lui disparaît un aiilhcnlique rcprcseotanl des races néo-ccitiques. Le komediancher sera remplacé ; mais nul héritier ne recueillera l’esprit du vieux barde. Après avoir été l’objet de toutes les rigueurs civiles cl religieuses, sur la fin du xviii® siècle, les Mystères el les Iframes bretons ont élé relevés du discrédit par Le Gonîdec el M. de La Villemarqué. Il n’y a pas Hou de revenir ici sur la renaissance littéraire que ces deux cellisanls ont provoquée en arts de l’esprit no sont qu’un divertisscmetit et une matière & rire ; ce n’est pas que la comédie l’allire plutài qu’une action tragique : dans n’importe quel Mystère breton tout acteur est un komedianchet