Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/102

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grande peine qu’il soit possible d’imaginer. Car savez-vous, monsieur, ce que c’est pour un homme qui a huit cent mille couplets effectifs d’entendre une pareille chose ? Continuez donc, et que Dieu vous pardonne le chagrin que vous m’avez causé. » Je poursuivis en disant :


Item. Faisant attention que depuis qu’ils ont cessé d’être maures, quoiqu’ils en conservent encore quelques restes, ils se sont faits bergers, d’où vient que les troupeaux maigrissent à force de boire leurs larmes, qu’ils sont desséchés par leurs âmes enflammées et si étourdis de leur musique qu’ils ne paissent pas : nous voulons qu’ils quittent cette fonction et que ceux qui aiment la solitude se fassent ermites et les autres muletiers, vu que c’est un emploi gai et où l’on dit toutes les horreurs que l’on veut.


« C’est quelque bardache, quelque cocu, quelque sodomite, quelque juif qui a ordonné cela, dit notre poète. Si je savais qui c’est, je ferais contre lui une satire dont il ne serait pas content, ni tous ceux qui la verraient. Qu’on juge comme un ermitage irait bien à un homme tel que moi, qui n’ai point de barbe, ou comme il conviendrait à un garde-burette de se mettre muletier ! Ce sont là, monsieur, de grandes mortifications ! » — « Mais, lui répliquai-je en riant, je vous ai déjà dit que c’est un badinage, et que vous devez l’écouter comme tel. » Je continuai ensuite :