Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/108

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je les regardais tous deux et je craignais autant le rosaire de l’ermite avec ses gros grains que les menteries du soldat. « Oh ! comme je ferais sauter avec de la poudre, disait celui-ci, une grande partie de cette gorge ! et quel bon service je rendrais aux voyageurs ! »

En causant ainsi, nous gagnâmes Cerecedilla. Nous entrâmes tous trois dans l’auberge lorsqu’il était déjà nuit, et nous ordonnâmes qu’on nous apprêtât à souper. C’était un vendredi. L’ermite dit : « En attendant, amusons-nous un peu, car l’oisiveté est la mère des vices. Jouons des ave Maria. » Dans le même moment il laissa tomber de sa manche un jeu de cartes. Je ris de tout mon cœur en voyant ce préservatif contre l’ennui, qui ne cadrait guère avec les grains de chapelet, et le soldat dit : « Non, jouons jusqu’à cent réaux, que j’aime fort. » L’envie de gagner me fit dire que j’en jouerais autant, et l’ermite, pour ne pas se montrer désobligeant, y consentit en disant qu’il portait l’huile de sa lampe, laquelle se montait à deux cents réaux. J’avoue que je me flattai d’être la chouette qui la lui boirait toute. Mais fasse le Ciel que le Turc réussisse ainsi dans toutes ses entreprises !

Le jeu fut celui du lansquenet, et ce qu’il y eut de bon, c’est que l’ermite feignit de ne pas le savoir et nous engagea à le lui apprendre. Le saint homme nous laissa faire deux mains, après quoi il en fit une si belle pour lui qu’il enleva tout ce qui était sur la table. Il fut notre héritier de notre vivant, et c’était