Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/133

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qui avaient été des chemises engendrées par des draps. Devenus chiffons, on en fait du papier, sur lequel nous écrivons et que nous brûlons ensuite pour en faire de la poudre noire propre à réparer les souliers, car j’ai vu, avec de pareils remèdes, ressusciter des chaussures que l’on jugeait incurables.

« Que vous dirai-je de la manière dont la nuit nous nous éloignons des lumières, pour qu’on ne voie point nos manteaux chauves et nos pourpoints sans barbes ? Car il n’y a pas plus de poil que sur un caillou, Dieu ayant jugé à propos de nous en donner au menton et de l’ôter à nos habits. Pour épargner la dépense des barbiers, nous avons toujours soin d’attendre qu’un d’entre nous soit bien poilu ; alors nous nous rasons réciproquement suivant le précepte de l’évangile : Aidez-vous comme de bons frères. Nous avons l’attention de ne point aller les uns dans les maisons des autres. Quand nous apprenons que l’un de nous fréquente les mêmes personnes chez qui nous aurions dessein de nous introduire, nous nous en abstenons ; nous y porterions la famine. Car je voudrais que vous puissiez connaître jusqu’à quel point nos estomacs sont voraces : ce sont des gouffres qui absorbent tous les mets.

« Nous sommes obligés d’aller publiquement à cheval par les rues, ne fût-ce que sur un ânon, une fois tous les mois et en carrosse une fois l’an, quand ce ne serait que sur le coffre ou par derrière. Mais si par hasard nous sommes dans la voiture, ce doit être à la portière avec toute la tête dehors, faisant