Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/147

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pour une dette, mais qui ne pouvait pas lui arracher un sou ; et pour n’en être pas reconnu, il tira de derrière ses oreilles des cheveux qu’il y avait ; au moyen de quoi on l’aurait pris volontiers pour un nazaréen travesti. Il s’appliqua aussi un emplâtre sur l’œil, et il se mit à parler italien avec moi. Il put faire tout cela pendant que venait cet homme, qui ne l’avait pas vu parce qu’il était à disputer avec une vieille. Je puis attester que je vis celui-ci tourner autour de nous, comme un chien qui veut se lancer sur quelque chose. Il faisait plus de croix qu’un enchanteur, et il s’en alla en disant : « J’ai cru que c’était lui. Quand on a perdu ses bœufs, on prend tout pour des vaches. » Je me mourais de rire de voir la figure de mon ami. Il entra sous un portail pour ôter l’emplâtre et remettre ses cheveux en leur place : « Ce sont là, me dit-il, des ruses pour nier ses dettes. Instruisez-vous, mon frère, vous verrez mille choses pareilles dans cette ville. »

Nous passâmes outre, et comme nous étions encore dans la matinée, nous prîmes au coin d’une rue deux tasses d’électuaire et bûmes de l’eau-de-vie que nous donna gratuitement une coquine après avoir souhaité la bienvenue à mon instituteur. Celui-ci me dit : « Avec ce restaurant, on peut bien ne pas s’inquiéter du dîner d’aujourd’hui ; et cela ne peut pas du moins manquer. » Je m’affligeai, considérant que nous n’étions pas encore assurés de notre dîner, et je lui répliquai d’un air chagrin pour mon estomac. Mais il me répondit : « Vous aviez bien