Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/146

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

elle renferme tout ce dont nous avons besoin ; prenez-la et la gardez. » Ils m’assignèrent le quartier de San-Luis pour exercer mon nouveau talent.

Je commençai donc ma tournée en sortant de la maison avec les autres ; mais ayant égard à ce que j’étais nouveau, ils me donnèrent pour parrain, comme l’on fait à celui qui chante sa première messe, afin de me dresser dans l’escroquerie, le chevalier qui m’avait amené et converti. Nous partîmes d’un pas lent, avec les rosaires à la main, et nous nous acheminâmes vers le quartier qui m’était désigné. En chemin, nous faisions politesse à tout le monde. Nous ôtions le chapeau aux hommes, désirant d’en faire autant de leurs manteaux. Quant aux femmes, nous leur faisions des révérences, car elles les aiment, et les révérends pères encore beaucoup plus. Mon bon gouverneur disait à l’un : « On doit demain m’apporter de l’argent. » À un autre : « Attendez encore un jour, car la Banque ne cesse de me donner des paroles. » Celui-ci lui demandait son manteau, celui-là le pressait pour sa ceinture ; ce qui me fit connaître qu’il aimait si fort ses amis qu’il n’avait rien à lui. Nous nous coulions d’un côté de la rue à l’autre, comme des couleuvres, pour éviter les maisons des créanciers. L’un lui demandait le loyer de la maison, un autre celui de l’épée qu’il portait, un autre celui des draps et des chemises ; de sorte que je compris qu’il était un chevalier de louage, comme une mule. Il arriva pour lors qu’il aperçut de loin un homme qui le tourmentait fort, à ce qu’il me dit,