Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/154

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Comme il commençait à se faire tard, elles crurent devoir se retirer, et elles m’en demandèrent la permission, après m’avoir toutefois prévenu du secret avec lequel le page devait aller chez elles. Je les priai, comme par grâce et comme une faveur, de me donner un rosaire monté en or qu’avait la plus jolie, pour garantie que je les verrais le jour suivant sans faute. Elles hésitèrent à me le donner. Je leur offris pour nantissement mes cent écus et elles m’indiquèrent leur maison. Dans l’espérance de m’escroquer davantage, elles se fièrent à moi, et me demandèrent ma demeure, en me disant qu’un page ne pouvait pas entrer chez elles à toute heure, parce qu’elles étaient des personnes d’un certain rang.

Je les reconduisis par la grande rue, et en entrant dans celle de las Carretas, je choisis la maison qui me parut la plus belle et la plus grande, à la porte de laquelle était un carrosse sans chevaux. Je leur dis que c’était la mienne et qu’elles pouvaient en disposer, de même que du carrosse et du maître. Je me nommai Don Alvaro de Cordoba, et j’entrai par la porte sous leurs yeux. Je me rappelle aussi qu’en sortant de la boutique je fis signe de la main à un des pages avec un air de supériorité, et que feignant de lui donner des ordres pour qu’ils restassent tous là à m’attendre, je lui demandai, dans la vérité du fait, s’il n’était pas au service du commandeur mon oncle. À quoi il me répondit que non, ce qui ne m’empêcha pas de traiter les domestiques d’autrui en homme réellement de condition. Vint enfin la