Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/167

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ne contribuaient pas, résolurent de leur en témoigner, quand il ferait nuit, leur mécontentement, avec une corde destinée à cet usage. La nuit venue, nous fûmes serrés au fond de la maison, on éteignit la lumière, et je me cachai sous l’escalier. Les pauvres chevaliers, qui comprirent de quoi il était question, pressèrent si bien leurs chairs hâves, desséchées, mangées et dévorées, qu’ils se trouvèrent tous dans un coin de l’escalier. Ils étaient comme des lentes aux cheveux ou des punaises dans un bois de lit. Les coups résonnaient sur les planches et eux ne disaient mot. Voyant qu’ils ne se plaignaient, leurs persécuteurs cessèrent les coups de corde et leur jetèrent des briques, des pierres et des plâtras qu’ils avaient entassés. Don Torribio en reçut derrière la tête un coup qui lui fit une bosse de deux doigts d’élévation. Alors il se mit à crier qu’on le tuait, et les scélérats chantaient tous ensemble pendant ce temps-là, et faisaient beaucoup de bruit avec leurs chaînes et leurs fers pour qu’on ne l’entendît pas. Le pauvre diable, voulant se cacher, saisit les autres pour se mettre dessous, et il fallait entendre alors résonner les os comme les castagnettes de Saint Lazare. Les hardes finirent là leur vie ; il ne resta pas un chiffon en état de servir. Les pierres et les plâtras pleuvaient cependant en si grande quantité que le même Don Torribio avait plus de coups à la tête qu’on ne saurait dire. N’ayant donc aucun remède contre la grêle qui tombait sur lui, et se voyant prêt à mourir martyr sans avoir néanmoins