Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ma ceinture pleine de papiers en forme de mémoires, et je les laissais entrevoir au moyen de six boutons que j’avais lâchés à mon habit. Quand j’arrivai, je trouvai les dames et les deux chevaliers qui m’avaient devancé. Les premières me reçurent d’un air très affectueux et les derniers en vinrent jusqu’à me tutoyer, pour marque de familiarité. J’avais dit que je m’appelais Don Felipe Tristan et je n’entendis autre chose tout le jour, sinon Don Felipe par-ci, Don Felipe par-là. Je débutai par dire que j’avais été si fort occupé aux affaires de Sa Majesté et à des comptes de mon majorat, que j’avais craint de ne pas pouvoir leur tenir parole, qu’ainsi je les priai de vouloir bien recevoir le goûter comme un impromptu.

Sur ces entrefaites, arriva le maître d’hôtel avec son attirail, l’argenterie et les domestiques. Tous les convives ne faisaient que me regarder et se taire. Je dis au maître d’hôtel de tout préparer sous le berceau, pendant que nous irions faire un tour du côté des étangs. Les vieilles s’approchèrent de moi pour me fêter et je fus bien charmé de voir les jeunes à visage découvert, parce que de ma vie je n’ai rien trouvé d’aussi beau que celle que je couchais en joue pour le mariage. Blonde, de la blancheur, des couleurs, une petite bouche, des dents petites et serrées, un beau nez, des yeux bleus et bien fendus, une taille avantageuse, de petites mains et un parler gras, tel était son portrait. L’autre n’était pas mal, mais elle avait l’air plus hardi, et elle me donnait lieu de soupçonner qu’elle était déjà aguerrie.