Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/235

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accompagnai, sans faire attention aux dangers auxquels je m’exposais.

Arrivés à la rue de la Mer, nous rencontrâmes la ronde, et à peine l’eurent-ils aperçue, qu’ils fondirent sur elle l’épée à la main. J’en fis de même et dès le premier choc, nous dégageâmes de leurs corps deux mauvaises âmes d’archers. Au lieu d’entreprendre de punir une pareille audace, l’huissier qui commandait cette troupe infernale ne songea qu’à assurer son salut par la fuite. Il courut en remontant la rue et criant de toutes ses forces. Comme il avait pris sur nous beaucoup d’avance, il ne nous fut pas possible de le suivre et nous jugeâmes plus à propos de nous réfugier à l’église cathédrale, pour nous mettre à couvert contre les rigueurs de la justice.

Nous dormîmes autant qu’il le fallait pour faire cuver le vin qui bouillait dans nos têtes. Quand nous fûmes réveillés et rendus à nous-mêmes, je ne pus jamais concevoir comment la justice avait pu perdre deux archers, ni comment l’huissier avait fui devant des grappes de raisin, car dans le fait, nous n’étions rien autre chose.

Nous nous trouvions très bien dans l’église, parce que, sur la nouvelle que des hommes s’y étaient retirés, il y vint des nymphes obligeantes et charitables, qui se déshabillèrent pour nous revêtir. La nommée Grajalis s’attacha à moi et m’habilla de neuf à son goût. Cette vie me plut fort, et plus que toute autre. Aussi je pris la résolution de ne me jamais séparer de cette aimable fille, et j’appris en