Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/37

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maître portait le nom, c’est-à-dire de chèvre rôtie. Le diable inventa-t-il jamais pareille chose ? « Il est très salubre et très utile, disait ce misérable, de souper légèrement, pour n’avoir pas l’estomac chargé. » Et à cette occasion il citait une légende de médecins infernaux. Il faisait l’éloge de la diète, ajoutant que par là un homme s’épargnait des songes désagréables, comme si, dans sa maison, on eût pu rêver autre chose, sinon que l’on mangeait, vu le besoin que l’on en avait toujours. Ils soupèrent, nous soupâmes tous, et personne ne soupa.

Nous fûmes nous coucher, et nous ne pûmes dormir de toute la nuit, ni Don Diégo ni moi. Don Diégo s’occupa à projeter de se plaindre à son père, et de le prier de le retirer de cette pension, et moi à lui conseiller de le faire. Cependant je lui dis : « Êtes-vous bien assuré d’être en vie ? Je m’imagine qu’on nous a tués dans la bataille des herbières, et qu’à présent nous ne sommes que des âmes qui se trouvent en purgatoire. Cela supposé, ce serait en vain que vous solliciteriez Monsieur votre père de vous retirer d’ici. Il vaudrait mieux tâcher d’engager quelqu’un à réciter des rosaires en satisfaction de nos péchés, et à nous délivrer de nos peines par des messes à un autel privilégié. »

Après nous être entretenus ainsi et avoir dormi un peu, l’heure du lever arriva. Six heures sonnèrent et Cabra appela à la classe. Nous y allâmes et nous entendîmes tous la leçon. Mon corps flottait déjà dans mon pourpoint, mes jambes auraient pu supporter