Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/38

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porter

sept autres paires de bas, mes dents étaient couvertes d’une crasse jaunâtre qui annonçait le désespoir et la faim. Il me fallut expliquer aux autres le premier chapitre du rudiment ; mais ma faim était si grande que j’avalais la moitié des mots. On croira tout ceci facilement quand on saura qu’un domestique de Cabra m’a raconté que peu de temps après son arrivée, il avait vu amener à la maison deux beaux chevaux de la Frise qui, au bout de deux jours, étaient devenus si légers qu’ils volaient dans les airs, et qu’en trois heures de temps deux gros mâtins bien pesants y avaient été changés en lévriers. Il ajouta que dans un carême, il vit, durant assez de temps, des personnes dont plusieurs venaient exprès de dehors mettre sur le seuil de la porte de Cabra, les uns leurs pieds ou leurs mains, et d’autres tout le corps, et qu’en ayant un jour demandé la raison, Cabra répondit, d’un air en colère, que ces gens-là avaient tous la gale ou des engelures et que le moyen de s’en guérir était de les mettre dans cette maison, parce qu’alors ces maux mouraient de faim et ne mangeaient plus dans la suite. Il me protesta que c’était la vérité, et moi, qui ai connu la maison, je le crois très fort. Je rapporte ce trait, pour que l’on ne croie pas que j’aie rien exagéré dans tout ce que j’ai dit.

Revenons à la leçon. Cabra nous la donna, et nous l’apprîmes par cœur. Nous continuâmes de vivre de la même manière ; ce crasseux ajouta seulement dans le pot un morceau de lard, sur ce qu’on lui dit